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Juillet 2004
Une réflexion sur l'allaitement maternel au Maroc

A. BARKAT, A. LYAGHFOURI*, A. MDAGHRI ALAOUI, N. LAMDOUAR BOUAZZAOUI
Service de Néonatologie Centre National de Référence en Néonatologie Hôpital d'Enfants Rabat
*Direction de la Population, Ministère de la Santé - 15 juillet 2004

Introduction

L'allaitement maternel est le moyen le plus naturel et le plus adapté pour nourrir un enfant. La supériorité du lait maternel par rapport au lait de vache et les substituts industriels est admise de tous et résumé dans le slogan anglo-saxon "breast is best".
Les bienfaits de l'allaitement maternel exclusif sont reconnus aussi bien au plan nutritionnel qu'au plan affectif. Il permet le développement harmonieux et l'épanouissement de l'enfant par les hormones de l'attachement qu'il mobilise et le comportement de maternage qu'il implique.
Le lait maternel contient des facteurs anti-infectieux, il a une action préventive des phénomènes atopiques, il réduirait le risque d'obésité et de diabète.
Si l'allaitement maternel est bénéfique pour tous les nouveau-nés, il est vital pour ceux des pays en développement ; et tous les efforts doivent être engagés pour préserver.

Au Maroc, les études disponibles tirent une réelle sonnette d'alarme face au déclin observé concernant la pratique de l'allaitement maternel.
A travers cette revue des données disponibles, nous allons voir l'évolution de la pratique de l'allaitement au Maroc au fil des années et nous allons analyser les principales difficultés qui peuvent être en partie responsables de ce déclin observé et proposer certaines recommandations en vue d'améliorer la situation.

I- Evolution de l'allaitement maternel au Maroc

Avant les années 80, l'allaitement maternel ne préoccupait guère les professionnels de santé au Maroc, sa pratique était universelle. Vers la fin des années 80, commençait déjà un déclin de l'allaitement maternel en faveur de l'allaitement artificiel. Ainsi, de 1992 à 1997, le taux d'allaitement maternel exclusif est passé de 62 % à 46 %. La durée moyenne de l'allaitement maternel a, elle aussi, baissé durant la même période passant de 15.5 mois à 14 mois. Ce recul peut s'expliquer par les changements qu'a connu notre société notamment le développement de l'industrie alimentaire avec l'avènement des laits pasteurisés, des laits de vache concentrés et en poudre, la modernisation de la vie et le travail des femmes.
Depuis les années 80, de nombreuses initiatives ont été entreprises pour encourager l'allaitement au sein. Parmi les initiatives internationales on retrouve celle de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de l'UNICEF pour lesquels la promotion de l'allaitement maternel est devenu un des objectifs principaux. Les stratégies utilisées ont reposé sur la promulgation des normes internationales qui ont été reproduites et énoncées dans la déclaration conjointe de l'OMS et de l'UNICEF intitulée "Protection, encouragement et soutien de l'allaitement maternel : le rôle particulier des services liés à la maternité". Cette déclaration comporte les dix conditions pour le succès de l'allaitement maternel, le code de commercialisation des substituts du lait maternel, la déclaration d'Innoncenti sur la protection, la promotion et le soutien de l'allaitement maternel et "l'Initiative Hôpitaux Amis des Bébés" ou IHAB.

Au Maroc, "l'Initiative Hôpitaux Amis des Bébés" a été lancée en 1992 et a concerné 40 Hôpitaux et maternités. Bien que le code de commercialisation des aliments pour nourrisson n'a pas été encore officiellement adopté, la distribution gratuite des aliments pour nourrissons est interdite depuis cette date. Cependant, le caractère limité de cette initiative et l'insuffisance de suivi, ont fait que les résultats escomptés n'ont pas été obtenus comme l'a révélée une évaluation réalisée en 2003 et l'abandon de la pratique de l'allaitement maternel est en nette augmentation.
A l'heure actuelle, l'abandon de l'allaitement maternel constitue un problème de santé publique au Maroc. En effet, malgré les efforts d'information et d'éducation, la situation se dégrade comme en témoignent les données des enquêtes nationales sur la population et la santé (1987, 1992, 1995 et 1997).

Tableau 1 : Pratique de l'allaitement maternel au Maroc
  Taux de mise au sein précoce Taux d'allaitement maternel exclusif Taux d'introduction du biberon à l'âge de 2 mois Durée moyenne d'allaitement maternel
ENPS 1992 48,5% 62% 23% 15,5 mois
Papchild 97 40% 46% 47% 14 mois

II. Causes du déclin de l'allaitement maternel

Les causes profondes de cette désaffection de la pratique de l'allaitement au sein semblent être le résultat de différents facteurs très intriqués intervenant simultanément : sociaux, économiques ou culturels.

  • Les modifications de la structure familiale notamment le manque du soutien psychologique de l'entourage.
  • L'urbanisation et le travail salarié des mères
  • Des préoccupations d'ordre esthétique.
  • Le développement de l'industrie agro-alimentaire et la mise sur le marché d'aliments diététiques infantiles accompagnée d'une publicité "agressive".
  • L'insuffisance de la formation dispensée aux professionnels de santé.

L'analyse des causes d'arrêt de l'allaitement maternel au Maroc et la comparaison de sa prévalence selon le milieu d'accouchement rendent bien compte de cette réalité.

Tableau 2 : Mise au sein précoce selon le milieu d'accouchement, EPPS 1995
Milieu d'accouchement Taux d'allaitement dans la première heure Taux d'allaitement dans le premier jour
Milieu surveillé 30,9% 71,4%
A domicile 51,5% 88,4%
Autres 46,2% 89,6%

Tableau 3 : Causes d'arrêt de l'allaitement maternel
  ECDM 1984-85 Papchild 97
  Urbain Rural National
Insuffisance lactée 28% 11,3% 20%
Etat de santé de la mère 24% 17,5% 6%
Survenue d'une nouvelle grossesse 10,7% 35% 8%
Reprise de l'activité professionnelle 4% 0,4% 1%

L'activité professionnelle constitue un obstacle à la bonne conduite de l'allaitement maternel puisque 87,6% de femmes au foyer pratiquent l'allaitement maternel contre 44% de celles exerçant une activité professionnelle à l'extérieur.

Ces données montrent qu'une proportion considérable de femmes ont arrêté d'allaiter leur bébé pour des raisons évitables dans la majorité des cas. L'insuffisance de lait est la première cause retrouvée. Or, on sait que les cas d'incapacité anatomique ou physiologique à produire suffisamment de lait sont rarissimes. L'état de santé de la mère ou la survenue d'une nouvelle grossesse sont aussi des causes non négligeables dans notre contexte. Il est alors du devoir de tous de travailler à contrer ces principales causes d'échec d'allaitement maternel. Action qui n'est possible que par la contribution d'un personnel soignant formé et motivé. Or le taux de mise au sein précoce n'est que de 30, 9% dans les cas des accouchements médicalisés, ce-ci implique directement la responsabilité du personnel soignant : manque de motivation ? Ou ignorance des bonnes pratiques d'allaitement maternel ? C'est à ces questions qu'a essayé de répondre un travail intéressant réalisé de manière conjointe par le Service de Protection de la Santé de l'Enfant et l'IFCS de Rabat dans le cadre de la préparation du mémoire de fin d'étude de jeunes infirmiers polyvalents. Il en découle que les deux tiers du personnel soignant questionné savent que la mise au sein doit se faire dans la première heure alors qu'elle n'est faite sur le terrain que dans un tiers des cas !

III- Evaluation des connaissances théoriques des femmes sur l'allaitement maternel

Dans la totalité des études réalisées la source d'information concernant l'allaitement maternel était représentée essentiellement par l'entourage immédiat, alors que les consultations prénatales n'ont contribué que dans moins de 5% des cas.
Quant aux connaissances des femmes concernant le colostrum par exemple, on trouve dans l'étude du Professeur Lamdouar Bouazzaoui une grande variation en fonction des régions. Au sud et dans les régions sahariennes, on reconnaît les bien faits du colostrum et on insiste sur son importance pour la santé présente et futur des enfants. Dans la région orientale du pays, la majorité des femmes ne lui accordent aucun intérêt, il est même parfois extrait par pression et jeté. En plus, dans le travail de Najib, certains facteurs dont l'âge avancé, le haut niveau d'étude et la multiparité semblent influencer favorablement les connaissances relatives aux avantages du colostrum.
Concernant la durée de l'allaitement maternel exclusif, plus d'un tiers des femmes ignore sa durée optimale et l'on assiste à un réel déclin de sa pratique. L'allaitement au sein exclusif pendant les premiers quatre mois est passé de 62% en 1992, à 37% en 1995. A 6 mois ce taux n'est plus que de 20%. Néanmoins des différences sont constatées en fonction du milieu. La fréquence de l'allaitement maternel exclusif pendant les 4 premiers mois serait plus importante en milieu rural.
Plus de 25% des femmes continuent à administrer des liquides type tisane ou autre avant la première tétée.

IV- Evaluation des connaissances théoriques des professionnels de santé en matière d'allaitement maternel

Un deuxième travail réalisé en 2004 par le Service de Protection de la Santé de l'Enfant et l'IFCS de Rabat dans le cadre d'un mémoire de fin d'études, a révélé une grande insuffisance des connaissances des professionnels de santé en matière d'allaitement maternel.

De l'enquête qui a intéressé 90 professionnels de santé s'occupant du couple mère nouveau-né, sort que seulement 70% des professionnels savent que l'allaitement maternel doit être initié dans la première heure après l'accouchement. Les connaissances sur le colostrum sont erronées dans plus d'un quart des cas. Ils sont par contre presque tous favorables à la cohabitation mère nouveau-né, garant principal de l'initiation et de la continuité de l'allaitement maternel .Dans plus que 80% des cas ils sont pour un allaitement initié dans les premières 24 heures chez la césarisée, alors que dans notre pratique quotidienne à la maternité cette recommandation n'est respectée que dans moins de 10% des cas. Dans plus de 20% des cas on continue à recommander d'autres liquides avec le sein : eau, tisanes, jus…
Concernant la connaissance des quatre critères d'une bonne prise de sein, seulement 9% des professionnels questionnés ont répondu correctement. Finalement seulement 8% sont au courant de l'initiative Hôpitaux Amis des Bébés.

V- Quelques recommandations en vue de ces données générales

A travers ces quelques données nous palpons bien que lé déclin de la pratique de l'allaitement maternel est un réel problème de santé publique qui interpelle tout professionnel de santé en particulier ceux impliqués dans les prestations destinées au couple mère-enfant.

Notre action doit comprendre deux grands volets : l'amélioration du niveau culturel des femmes pour une réception plus aisée et facilité des conseils qu'on pourrait leur procurer et la formation de professionnels de santé en matière d'allaitement maternel.
Le premier volet d'action qui est celui de la lutte conte l'analphabétisme de la femme est en pleine évolution dans notre pays et nous professionnels de santé nous saluons tous les départements et les organisations non gouvernementales qui agissent dans ce sens.
En matière de formation des professionnels de santé, nous avons beaucoup à faire pour améliorer les connaissances et les compétences des professionnels pour ce qui des conseils des mères en matière d'allaitement maternel.
Le Ministère de la Santé a certainement déployé jusqu'alors des moyens considérables dans ce sens par des séminaires de formation. Mais ces résultats démontre bien que beaucoup d'efforts sont encore à faire. Il est temps que ces différentes actions soient organisées dans le cadre d'un groupe national de travail "allaitement maternel". Ce groupe permettra, à la lumière des données disponibles qui donnent un large aperçu sur l' état des lieux, d'organiser les différentes actions. Dans ce cadre, nous devons réviser l'Initiative Hôpitaux Amis des Bébés et l'élargir pour couvrir la période du postpartum tardif et la relancer, insister sur la formation et l'information d'abord des personnes impliquées dans la prise en charge du couple mère-nouveau-né en anténatal, périnatale et en postnatal, mais aussi des parents. Finalement, nous insistons fortement sur l'intérêt de développer des cours de communications et ce à tous les niveaux.

Pour en savoir plus

1. Naima Lamdouar Bouazzaoui. L'allaitement maternel au Maroc. IN Actes d'un Médecin Enseignant .Editions nouvelles, Rabat, 2002 .

2. M. Bourrous, A. Aboussad. Pratiques de l'allaitement maternel à la Maternité Ibn Tofail de Marrakech. Rev mar mal enf 2003 ;1 : 42-45

3. Ministère da la santé du Maroc. Enquête Panel pour la population et la santé. 1995

4. L. Rijmati et coll. Allaitement maternel. Cahiers du Médecin.1999,Tome II, 8 :50-1

5. A.Jinat, A. Belhaj, F.Z Choayeb, F. Dahmi, A. Lyaghfouri. Perceptions, connaissances et attitudes des professionnels de santé en matière d'alimentation du nourrisson de moins d'un an. Enquête au près de 90 professionnels de santé. Mémoire de fin d'études du premier cycle des études paramédicales. Section infirmier polyvalent. 2004.

6. N. Benmira, M.Bouihlaben, H. Bourijal, F. Machkouri, A. Lyaghfouri. Connaissances et pratiques des mères en matière d'alimentation du nourrisson de moins d'un an. Enquête au près de 210 mères de deux centres de santé de la préfecture de Rabat Salé. Mémoire de fin d'études du premier cycle des études paramédicales. Section infirmier polyvalent ; 2004.

 

A. BARKAT, A. LYAGHFOURI*, A. MDAGHRI ALAOUI, N. LAMDOUAR BOUAZZAOUI
Service de Néonatologie Centre National de Référence en Néonatologie Hôpital d'Enfants Rabat
*Direction de la Population, Ministère de la Santé - 15 juillet 2004

 
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