Auteurs : Mariam Elhaddari, Abdelmounaim Aboussad
Maternité Ibn Tofail, Centre hospitalier Mohammed VI Marrakech
Faculté de Médecine et de Pharmacie, Université Cadi Ayyad Marrakech
Correspondance : Pr. A. Aboussad Tel : 0021261142849
Email : abdelmounaim@netcourrier.com
I - Introduction La grossesse chez l’adolescente est devenue
un problème important de santé publique, aussi bien dans les
pays en développement que dans les pays industrialisés, vu
l’augmentation significative du taux de fécondité en dessous
de 20 ans, et les risques importants, médicaux, psychologiques
et sociaux, auxquels sont exposés à la fois la mère et l’enfant.
Ces risques sont certes d’importance variable selon le contexte
familial, culturel, socio-économique et religieux. Néanmoins,
l’immaturité psychologique et psychoaffective liée à l’âge
constitue un facteur en commun : « elles n’ont pas fini d’être
filles qu’elles sont déjà mères » (1). Le
but de ce travail est d’étudier auprès de jeunes mères les
caractéristiques de la grossesse et de l’accouchement et leurs
connaissances et attitudes vis-à-vis de la prise en charge
naturelle de leurs enfants.
II - Matériel et méthodes
Il s’agit d’une étude
prospective menée auprès de 104 mères
âgées de moins de 18 ans, qui ont accouché
à la maternité du CHU Mohamed VI de Marrakech,
entre le premier juillet et le 31 décembre 2000.
Le recueil des données s’est fait à l’aide
de l’exploration du dossier obstétrical de la
parturiente, l’entretien avec la mère et l’examen
du bébé. Les paramètres étudiés
ont concerné les caractéristiques socio-économiques,
la situation familiale, le vécu et le déroulement
de la grossesse, les modalités d’accouchement,
et les compétences de ces jeunes mères à
prendre en charge leurs enfants.
III - Résultats
A la maternité Ibn Tofail du CHU Mohammed
VI, de tous les accouchements effectués durant l’année
2000, ceux des femmes âgées de moins de 18 ans
ont représenté 7,16%. Au moment de l’accouchement,
l’âge des mères variait entre 14 et 18
ans avec une moyenne de 16,9 ans.
L’âge au mariage de ces jeunes femmes était
situé entre 10 et 17 ans, la moyenne était de
15,4 ans. 70% étaient analphabètes, les autres
avaient quitté l’école avant le mariage.
Elles étaient d’origine rurale dans 74% des cas,
et seulement 22% habitaient en ville. L’eau potable
et l’électricité n’ont été
disponibles que chez 33%. 10% des filles étaient orphelines
et 97% étaient mariées alors que deux femmes
étaient célibataires et une divorcée.
L’intervalle entre le mariage et la grossesse ne dépassait
pas 6 mois dans 73% des cas. 61% avaient affirmé n’avoir
utilisé aucune contraception. Quand une contraception
a été utilisée, il s’agissait de
la pilule dans 95% des cas. La grossesse a été
non désirée dans 19% des cas et le suivi médical
a été absent dans 37% des cas. 72% de femmes
habitaient chez leur famille et 4 seulement avaient une activité
professionnelle. 82% des femmes avaient accouché par
voie basse, 16,4% par césarienne et 1 cas par Forceps.
Des complications liées à la grossesse ou à
l’accouchement ont été observées
chez 14 femmes (Tableau I).
Concernant les bébés, 80%
étaient nés à terme, 15% prématurés,
4 morts nés, 3 en post terme, 4 en asphyxie, 5 avec
malformations et 1 cas d’infanticide a été
observé. Le poids de naissance moyen est de 2 kg 900
et 14% des nouveau nés avaient un poids inférieur
à 2 kg.
Après sa naissance, le bébé a été
considéré désiré par sa mère
dans 95% des cas, et 34% des mères qualifiaient cette
naissance d’événement heureux. 75% des
mères pensaient que cette naissance allait apporter
un changement dans leur vie de couple. 1,2% seulement avaient
exprimé l’apport d’un plus de responsabilité
au niveau du couple, 3 mères avaient éprouvé
une inquiétude vis à vis de cette responsabilité
et 23% étaient restés indifférentes à
ce sujet. 81% des mères interrogées avaient
confirmé avoir besoin d’une tierce personne pour
s’occuper du bébé. 44,2% des femmes avaient
exprimé leur ignorance des modalités d’allaitement
et de la façon d’agir en cas de maladie. L’utilité
de la courbe du poids a été reconnue par 42%
des mères. Les connaissances des mères en matière
de vaccination de l’enfant étaient très
insuffisantes avec 57,7% des adolescentes qui ne connaissaient
aucun vaccin nécessaire au bas âge.
Les vaccins contre la rougeole et le tétanos ont été
les mieux connus avec respectivement 29 et 23 femmes, les
moins connus ont été le BCG, la diphtérie
et l’hépatite B. 58% des adolescentes connaissaient
l’âge de la diversification alimentaire et 50%
optaient pour un sevrage brutal. 42% préconisaient
l’allaitement au sein au delà d’1 an.
La majorité des mères avaient des connaissances
insuffisantes pour la surveillance du développement
psychomoteur de leur bébé et 70% pensaient recouvrir
à la médecine traditionnelle en cas de problème
de santé du bébé. Enfin 81% souhaitaient
pratiquer une contraception après l’accouchement
et 82% des mères avaient montré une préférence
pour la pilule.
IV - Discussion :
La maternité précoce est devenue un phénomène
de santé important dans de nombreux pays. En effet, les statistiques
menées au cours des vingt dernières années montrent une augmentation
significative des taux de grossesse parmi les adolescentes.
Ainsi, dans le monde en développement, en moyenne, 40% des
femmes accouchent avant l’âge de 20 ans, ces chiffres varient
de 8% en Asie de l’Est à 56% en Afrique de l’Ouest (2).
En Amérique latine, le nombre des grossesses chez les adolescentes
est très élevé et ce phénomène est considéré comme un problème
de santé publique (3) avec une augmentation
du pourcentage des adolescentes parmi les mères et qui est
passé de 14,1% en 1978/79 à 17,5% en 1994 au Brésil (4).
Aux Etats Unis d’Amérique, le nombre de grossesses chez les
adolescentes est nettement plus élevé : 20% de jeunes femmes
accouchent de leur premier enfant avant l’âge de 20 ans (2).
Au Canada entre 1980 et 1985, le taux annuel de grossesses
pendant l’adolescence est passé de 21,4 à 23,4% et 2000 grossesses
de plus en 1990 par rapport à trois ans auparavant ont été
signalées avec le taux le plus élevé chez les adolescentes
de 18 et 19 ans. En Europe, la situation est presque similaire,
en Grande Bretagne par exemple, le taux de natalité d’enfants
de mères âgées de 16 ans et moins est passé entre 1975 et
1985 de 6,8 à 8,7%. Le taux de fécondité des moins de 20 ans
a eu une légère augmentation. (3,5). On déduit
ainsi que même dans les pays industrialisés la fécondité des
adolescentes reste importante. La grossesse de l’adolescente
est classiquement considérée comme une grossesse à haut risque
pour la mère et pour le bébé.
Selon l’organisation mondiale de la santé , la fécondité en
dessous de l’âge de 18 ans devait être l’objet d’une attention
particulière, puisque cette grossesse accroît les risques
médicaux, psychologiques et sociaux à la fois pour la mère
et l’enfant (6). Les risques médicaux sont
essentiellement l’anémie, la toxémie gravidique, la menace
d’accouchement prématuré, l’accouchement traumatique, la prématurité
et/ou l’hypotrophie (7,8) et la mortalité
infantile plus élevée.
Une intervention précoce spécifique auprès de ses jeunes mères
a démontré son effet sur la réduction de la prématurité et
du faible poids de naissance, la durée d’hospitalisation et
de ré-hospitalisation chez l’enfant par rapport à un groupe
d’adolescentes suivie par un programme de santé publique traditionnel
(9). C’est le contexte dans lequel survient
cette grossesse et les conditions de vie qui semblent à prendre
en considération pour le pronostic à long terme. La grossesse
chez l’adolescente est un « problème social à conséquences
médicales ».
En effet, le risque de maternité précoce est étroitement
lié au bas niveau socio-économique et familial, l’analphabétisme,
l’échec scolaire et l’absence d’activité professionnelle (10).
Dans notre étude, l’origine rurale est retrouvée dans 74%,
70% de femmes jeunes sont analphabètes et 4 seulement ont
une activité professionnelle.
Dans la majorité des cas, il y a absence de soins et d’accompagnement
de qualité. Le risque obstétrical chez les jeunes de moins
de 15 ans semble être lié aux facteurs émotionnels et socio-comportementaux
qu’aux éventuels facteurs biomaturitifs.
Le contexte culturel est aussi à prendre en compte. Il est
important de distinguer 2 situations différentes, celle des
femmes jeunes mariées dont le déroulement de la grossesse
est normal, comparable à celui des autres mères plus âgées,
et celle des adolescentes célibataires, en difficulté, rupture
avec la famille, échec scolaires, avec parfois un contexte
de violence sexuelle. La grossesse est parfois très désirée
par la jeune fille qui dans un contexte de carence affective
ou sociale, elle lui permet de se révolter, provoquer et s’affirmer
vis à vis de son entourage (11).
Au Maroc, surtout en milieu rural, la tendance à la fécondité
précoce est volontaire et considérée comme un moyen de renforcement
des liens du couple et de la stabilité des jeunes mariés.
Cette série permet de confirmer cela vu que la majorité des
adolescentes sont mariées et que la grossesse est désirée.
Dans le même sens les grossesses rapprochées sont préconisées
dans les milieux traditionnels. Le problème dans ce contexte
est que les grossesses sont généralement mal suivies aboutissant
à des complications et des situations d’urgence. Chez les
adolescentes célibataires dans des conditions difficiles le
risque d’infanticide est important et témoigne d’une véritable
peur, panique et d’un regret de l’enfant qui vient de naître.
Le risque de mortalité infantile précoce par maltraitance
et par infection est multiplié par 5 chez ces adolescentes,
avec une augmentation de la mort subite du nourrisson (12).
De ce fait, il est essentiel d’insister sur l’intérêt d’une
bonne prise en charge de ces grossesses y compris, les soins
prénatals, un accompagnement de bonne qualité, une éducation
des jeunes mères en matière d’allaitement, d’hygiène et santé
de leur bébé. Des efforts particuliers doivent être faits
pour la surveillance de la contraception de ces jeunes mères
ainsi que la promotion de moyens contraceptifs de longue action
vu le risque de récidives des grossesses après le premier
accouchement (13).
Tableau
N°I : Complications liées à la grossesse ou à l’accouchement.
Complication |
|
|
Toxémie gravidique |
|
|
Hémorragie de délivrance |
|
|
Fausses couches |
|
|
Grossesse extra-utérine |
|
|
Tableau N°II : Problèmes rencontrés chez le nouveau né
Problème |
|
|
Prématurité |
|
|
Malformation |
05 |
4.8 |
Souffrance néonatale |
04 |
3.8 |
Post terme |
03 |
2.8 |
Infanticide |
01 |
1 |
V - Résumé
:
La maternité précoce pose plusieurs problèmes
obstétricaux et s’occuper d’un enfant quand
on est encore un enfant n’est pas évident. Nous
avons réalisé ce travail prospectif pour étudier
les circonstances socio-économiques, le vécu
de la grossesse et les connaissances des mères pour
la prise en charge de leur enfant.
Du 1er juillet au 31 décembre 2000, 104 mères
âgées de moins de 18 ans ont accouché
dans notre structure. 70% sont analphabètes et 74%
sont originaires de la compagne.
L’âge au mariage varie de 10 à 17 ans et
la moyenne est de 15,6 ans. Seules trois mères ne sont
pas mariées. 61% n’ont pas utilisé de
contraception . La grossesse a été non désirée
dans 19% des cas. L’accouchement s’est fait par
voie basse dans 82%, 12% par césarienne, et Forceps
1%. 16 nouveaux nés sont prématurés,
3 post terme, 4 morts nés, 4 en asphyxie et 5 avec
un syndrome malformatif. 14 mères ont présenté
des complications après l’accouchement. 81% des
mères ont confirmé avoir besoin d’une
tierce personne pour s’occuper du bébé,
42% connaissent l’utilité de la courbe de poids
pour la surveillance de la croissance.
La majorité des adolescentes ne connaissent
pas les vaccins nécessaires au bas âge, 58% connaissent
l’âge de la diversification alimentaire et 50%
comptent faire un sevrage brutal. La majorité des mères
ont des connaissances insuffisantes pour la surveillance du
développement psycho-affectif de leur bébé
et 70% d’entre elles pensent recourir à la médecine
traditionnelle en cas de problème de santé de
leur bébé.
Ce travail discute la prise en charge de la grossesse chez
l’adolescente et son éducation pour la sécurité
de la santé et du développement de son enfant.
Les particularités culturelles de l’adolescente
enceinte seront abordées.
Mots clés : adolescente, grossesse,
connaissances, nouveau né.
Summary
Adolescent mothers and their infants
Adolescent pregnancy remain a major public concern because
of their impact on maternal-child health. The aim of this
study is to determine a social and economic condition of adolescent
mothers, information about delivring and knowledges of mothers
concerning nutrition, monitoring of growth and immunisation
of their infants. This study included 104 pregnant mothers
< 18 years age refered to Ibn Tofail Hospital between july
and december 2000. It found a socialy disavantaged situation
and a poor knowledges of mothers. The finding may be useful
in conseling and promotion of education of adolescent pregnant
and monitoring of preganacy in adolescent.
Key words : adolescent, pregnancy, knowledges,
newborn.
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