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FEMMES,
DÉVELOPPEMENT HUMAIN ET PARTICIPATION
POLITIQUE AU MAROC
Aziz
Enhaili*
Au
Maroc, malgré la participation des femmes à différentes
luttes politiques et sociales, et leur présence dans différentes
sphères des champs économique et social, leur participation
aux élites politiques locales et nationales, et donc au
processus de prise de décision, demeure faible. Cette situation
s’explique par la culture traditionnelle dominante d’une
société patriarcale. Les avancées limitées dans le domaine
de l’éducation des jeunes filles ne sont pas de nature à changer
cette situation.
Un demi
siècle s’est écoulé depuis l’accession du Maroc à son
indépendance (1956). Durant cette période, trois rois se
sont succédés au pouvoir : Mohammed V (jusqu’en 1961), Hassan
II (1961-1999) et Mohammed VI (depuis 1999). Chacun de ces
monarques absolus s’est distingué par un style politique
particulier. Ce style est le fruit à la fois de la propre
histoire personnelle du souverain concerné, des rêves et
mythes de sa génération et du contexte politique de son action.
Le traitement de la question des femmes n’a pas échappé à cette
donne.
Au cours
de cette courte période historique, le Maroc a
connu plusieurs transformations sociologiques profondes.
C’est ainsi que le pays a connu une urbanisation rapide,
l’accès d’une part croissante de la population féminine à l’éducation
et l’entrée massive des femmes sur le marché du travail.
Mais ces trois processus sociaux, enclenchés par la modernisation,
n’ont pas permis une participation significative des femmes
aux élites politiques locales et nationales. Cette résistance à l’intégration
des femmes dans les institutions politiques représentatives,
lieu masculin par excellence, n’est pas de nature à renforcer
le développement politique et social du pays.
Dans
cette étude, consacrée à la question de la participation
politique de la femme au Maroc, nous allons d’abord examiner
sa situation juridique et politique, marquée par la discrimination.
Nous allons ensuite analyser les principaux obstacles à la
représentation de la femme et à son recrutement parmi le
groupe des élites politiques locales et nationales. À cet égard,
cette démarche est orientée par l’hypothèse suivante : au
Maroc, malgré la participation de la femme à différentes
luttes politiques et sociales, et sa présence dans différentes
sphères des champs économique et social, sa participation
aux élites politiques locales et nationales, et donc au processus
de prise de décision, demeure faible. Cette situation s’explique
par la culture traditionnelle dominante d’une société patriarcale.
Les avancées limitées dans le domaine de l’éducation des
jeunes filles ne sont pas de nature à changer cette situation.
I.
FEMMES, DROIT ET MOBILISATION DES MOUVEMENTS DE FEMMES
POUR ACCROÎTRE LA PARTICIPATION POLITIQUE
FÉMININE
Le Maroc
est un État unitaire gouverné par une monarchie
absolue de droit divin. Après l’indépendance, le régime a
alterné des phases de « guerre » chaude et froide, dont celle
culturelle, en direction de l’opposition, notamment de gauche.
Son objectif était la monopolisation du pouvoir. Pour y arriver,
il a domestiqué cette force politique, qui se servait de
son capital politique et de sa légitimité historique, pour
revendiquer le partage du pouvoir. Cette épreuve de forces
s’est soldée par la consécration de la mainmise de la monarchie
sur la société civile. Héritier de Mohammed V, le conservateur
Hassan II était le principal architecte et continuateur de
cette vaste entreprise. Son fils et héritier, Mohammed VI,
a cueilli les fruits de cette politique.
Après une période de gel politique décrété par le pouvoir
durant les années 1965-1972 et devant les deux tentatives
de coup d’État (1971 et 1972) qui menaçaient les fondements
du régime lui-même, la monarchie s’est vue obligée de réviser
sa stratégie politique. C’est pourquoi elle a « libéralisé » la
Constitution autoritaire de 1970 et a initié les consultations
communales de 1976 et législatives de 1977 comme outils de
réchauffement du jeu politique, à travers la réintégration
et la cooptation des élites des forces d’opposition légaliste.
Depuis les années 1960, l’alliance de la monarchie avec les
forces sociales conservatrices n’était pas de nature à promouvoir
les droits des femmes.
Il fallut
attendre le début des années 1990 pour voir le
régime initier une ouverture politique assez importante en
direction de l’opposition nationaliste et de gauche, une
ouverture initiée sous la pression conjuguée de facteurs
domestiques (graves crises économique et politique) et internationaux.
Rappelons-nous que c’était la période de la chute du mur
de Berlin et, avec lui, du bloc socialiste soviétique, et
aussi de l’usage du thème des droits de l’Homme comme outil
de politique étrangère de l’Occident en général et des États-Unis
d’Amérique en particulier.
Tableau
no. 1 :
Profil
politique du Maroc
Année d’accès à l’indépendance
|
1956
|
Année d’adoption
de la Constitution en vigueur
|
1972
|
Nature
de l’État
|
Unitaire
|
Nature
du régime
|
Monarchie absolue de droit divin
|
Caractéristiques
du Parlement
|
Nombre de Chambres
|
2
|
Nom de la Chambre basse
|
Majlis al-nuwab
|
Nombre
de sièges de la Chambre basse
|
325
|
Durée maximum d’une législature
|
5
années
|
Caractéristiques du système électoral
(Chambre basse)
|
Type
de système électoral
|
Scrutin proportionnel de liste avec
la plus forte moyenne
|
Mode de scrutin
|
Listes
locales (295 sièges) et listes
nationales (réservées théoriquement aux femmes, 35
sièges)
|
Date
des élections législatives les
plus récentes
|
2002
|
Participation électorale
en 2002
|
51,61 %
|
Résultats des élections, en nombre
de sièges
|
- Union
socialiste des forces populaires (USFP) : 50
- Parti
de l’Istiqlal (PI) :
48
- Parti
de la justice et du développement
(PJD) : 42
- Rassemblement
national des indépendants
(RNI) : 41
- Mouvement
populaire
(MP)
: 27
- Mouvement
national populaire (MNP) : 18
- Union
constitutionnelle (UC) : 16
- Parti
national démocrate (PND) :
12
- Front
des forces démocratiques (FFD) :
12
- Parti
du progrès et du socialisme
(PPS) : 11
- Union
démocratique (UD) : 10
- Mouvement
démocrate social (MDS) :
7
- Parti
socialiste démocratique (PSD) :
6
- Parti
du Pacte (PDP) : 5
- Alliance
des libertés (ADL) :
4
- Gauche
socialiste unifiée (GSU) :
3
- Parti
de la réforme et du développement
(PRD) : 3
- Parti
marocain libéral (PML) :
3
- Parti
des forces citoyennes (PFC) : 2
- Parti
démocratique et de l’indépendance
(PDI) : 2
- Parti
de l’environnement et du développement
(PED) : 2
- Congrès
national ittihadi (CNI) : 1
|
Droits politiques des femmes (Chambre
basse)
|
Année d’obtention du droit de voter
aux élections législatives dans les mêmes conditions
que les hommes
|
1963
|
Année d’obtention du droit de poser
sa candidature aux élections législatives dans les
mêmes conditions que les hommes
|
1963
|
Année d’élection de la première
femme
|
1993
|
Pourcentage
de femmes siégeant dans
les années 1993, 1997 et 2002
|
1993 : 0,9 %
1997 : 0,61 %
2002 : 10,8 %
|
Type
de mesures en vue d’accroître
le nombre de femmes parlementaires
|
Quotas
|
Sanctions
prévues en cas de non-respect
|
Aucune
|
Classement international
|
Classement selon Freedom
House (2005)
|
Semi-libre
: droits politiques évalués à 5/7
et libertés civiles à 4/7 (1 étant le niveau le plus
haut de liberté, et 7 le pus bas)
|
Rang
selon l’Indicateur de développement
humain (IDH, 2002)
|
125ème (IDH = 0,620)
|
Rang
selon l’Indicateur sexo-spécifique
du développement humain (ISDH, 2002)
|
100ème (ISDH = 0,604)
|
Pourcentage
des femmes siégeant au
gouvernement (2002)
|
8 %
(contre 4,9 % en 1997 et 9,75 % en
1995)
|
Rang
selon l’Indicateur de la participation
des femmes (IPF) aux instances décisionnelles dans
la société (2002)
|
Non disponible
|
Rang
selon le classement de l’Union
interparlementaire (2002)
|
94ème
|
Ratification
de la Convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination envers les femmes
|
Oui
|
Tableau
no. 2 :
Profil
démographique
Population (2004)
|
31 478 000 begin_of_the_skype_highlighting 31 478 000 end_of_the_skype_highlighting
|
Espérance
de vie (estimation 2002)
|
Femmes :
70,3 ans
Hommes
: 66,6 ans
|
Nombre
d’enfants par femme (estimation
2004)
|
2,76 (contre 6,9 en 1975)
|
Population urbaine (% du la population
totale, 2004)
|
57,5 % (contre 37,8 % en 1975)
|
Tableau
no. 3 :
Profil
socioculturel
Taux
d’alphabétisation des femmes
de 15 ans et plus (estimation 2002)
|
38,3 %
|
Ratio
femmes/hommes dans les inscriptions aux études supérieures
(2000-2001)
|
0,84
|
Répartition des religions selon les
dénominations (2004)
|
99 % musulmans (1% autres)
|
Tableau
no. 4 :
Profil économique
Produit
intérieur brut par habitant
(estimation 2002)
|
3 810 dollars
|
Participation
des femmes au marché du
travail (en % du taux masculin, 2002)
|
53 %
|
Revenu du travail femmes / hommes
(estimation 2002)
|
2 153 dollars / 5 354 dollars
Ratio : 40 %
|
Pour
contrer les campagnes de pression d’ONG (Organisations
non gouvernementales) internationales, telles Amnesty
International, qui étaient critiques du bilan du Maroc
en matière des droits humains, et pour calmer les critiques
de gouvernements étrangers, bailleurs de fonds d’aide, le
pouvoir a saisi l’occasion de la réforme constitutionnelle
de 1992 pour inscrire en préambule l’attachement du pays « aux
droits de l’Homme [et donc des femmes] tels
q’ils sont universellement reconnus ». Cette adhésion, même
limitée au consensus international en faveur des droits humains,
pouvait apporter des dividendes financiers et politiques
internationaux à un régime dont le pouvoir n’était pas menacé par
des défis intérieurs. Ces dividendes devaient en partie servir à financer
la paix sociale. Au niveau domestique, les instruments politiques
et sociaux de la classe moyenne urbaine laïque ne pouvaient
s’opposer à une telle orientation moderniste dans le domaine
des droits humains et donc des femmes.
1. Droits civils et politiques,
constitution et discrimination des femmes au Maroc
A.
Des droits civils des femmes en général
Au niveau
juridique, le droit familial est encadré par le
code du statut personnel et successoral, la Moudawana,
promulgué en 1957-1958. Presque deux ans après l’indépendance,
l’aile conservatrice du PI (Parti de l’Istiqlal) réussit à faire
adopter ce code. Pour y arriver, cette aile manipula la commission
des dix oulémas (dont Allal el-Fassi, leader du PI) chargée
d’élaborer ce code. Comme l’ambitieux PI était puissant et
que la monarchie avait intérêt à le faire imploser--prélude à sa
domestication--pour monopoliser le pouvoir, l’adoption d’un
tel code--cadeau monarchique empoisonné--devait servir à dévoiler
les clivages philosophiques du parti et contribuer à faire
mûrir les conflits en son sein entre l’aile conservatrice
et le courant moderniste. Une fois arrivées à maturité, ces
contradictions provoqueront l’implosion de ce puissant parti
et la naissance à sa gauche de l’Union nationale des forces
populaires (1959), ancêtre de la sociale-démocrate USFP (Union
socialiste des forces populaires, 1975), et à terme de la
marxiste OADP (Organisation de l’action démocratique et populaire,
1983).
Conformément à cette loi, la moitié de la société devait être
condamnée à demeurer à vie sous tutelle mâle. Jusqu’à la
réforme de 2004, les différentes « modifications » de ce
code n’y changeront rien. Ainsi, en 1979, une commission
royale a été mise en place pour le « réviser ». Elle a œuvré dans
le secret pour proposer en 1981 un code complet, comprenant
504 articles, dont ceux relatifs au relèvement de l’âge du
mariage de la fille de 15 à 18 ans et à la réglementation
du statut du tuteur et de l’enfant né hors mariage. Mais à cause
d’un contexte social et politique instable (émeutes urbaines
en 1981, montée de l’islamisme, etc.), ce rapport va être
enterré.
Douze
ans plus tard, la timide réforme de la Moudawana de
1993 portait notamment sur les chapitres relatifs à la tutelle
matrimoniale (wilaya) et à la garde des enfants mineurs.
Mais les questions de répudiation et de polygamie n’ont pas été vraiment
touchées. C’est pourquoi, même si le législateur obligeait
dorénavant le mari qui voulait prendre une seconde épouse à demander
l’accord de sa femme et permettait à celle-ci de poser ses
conditions, en raison de plusieurs vides et de contraintes
sociales culturelles, l’époux pouvait toujours en fait s’arranger,
moyennant corruption de l’adoul (notaire traditionnel),
pour se passer de l’avis de sa propre femme. Certains changements
ont même été, en réalité, des retours en arrière. À titre
d’exemple, en cas de remariage de l’ex-épouse, la garde des
enfants était confiée non plus à sa mère mais à son ex-mari.
Une telle situation alimentait la frustration des féministes.
Il fallut
attendre l’année 2004 pour voir ce code réformé de
façon sérieuse. Jusqu’à cette date historique, la femme,
considérée comme éternelle mineure, était soumise au régime
de tutelle du père puis du mari. Même si la polygamie était
devenue un phénomène marginal, tout homme pouvait se marier
avec plus d’une femme. Seul l’homme pouvait répudier sa femme,
après l’avoir avertie. À défaut d’une réponse de sa part à son
deuxième avis, il pouvait la répudier sans qu’elle soit présente.
Une fois remariée, la femme courrait le risque de perdre
la garde de son enfant au profit de son ex-mari. En matière
de succession et d’héritage, les femmes étaient également
objet de discrimination. Pour se marier ou obtenir un passeport,
la femme avait besoin de l’autorisation d’un tuteur mâle.
Si elle se mariait avec un étranger, elle ne pouvait transmettre
sa nationalité ni à son mari ni aux enfants nés de cette
union ; et cela sans parler de l’ostracisme social auquel
elle pouvait faire face en cas de mariage avec un non musulman,
unions qui se contractaient généralement à l’étranger.
Depuis janvier 2004, le nouveau code de la famille instaure
trois principes importants : l’égalité juridique entre
les hommes et les femmes, la co-responsabilité au sein
du couple et l’accès de la femme à la majorité sociale.
C’est pourquoi cette loi accorde à la femme les droits
suivants :
-
la
possibilité d’attendre
jusqu’à l’âge de 18 ans pour choisir de se marier
et avec qui bon lui semble ;
-
l’institution
du divorce par consentement mutuel ;
-
la
possibilité de
demander le divorce ;
-
dans
le cas de divorce ou de répudiation, la possibilité de garder ses
biens, son logement et ses enfants si c’est l’homme qui demande
le divorce. Dans ce cas, elle bénéficie d’un partage équitable
des biens du couple.
Toujours
dans un esprit de protection de la femme, la polygamie
est rendue
quasi impossible. Pour l’enfant naturel, le père
peut le reconnaître, mais dans le cas de l’héritage, il demeure
inégalitaire.
Ce code
juridique, inspiré de la chari’a (loi islamique),
permettait donc jusqu’à récemment la légitimation religieuse
de l’inégalité entre les genres masculin et féminin. Il participait
ainsi à la reproduction symbolique d’un ordre sexo-social
conservateur que l’on voulait à tout prix préserver. Depuis
la récente réforme, qui représente une avancée remarquable,
on assiste, côté femmes, à une nouvelle dynamique psychologique
emprunte de plus de confiance dans l’avenir. Cette atmosphère
est tempérée par des résistances sociales sourdes de la société mâle,
qui sont visibles chez les juges, gardiens par excellence
du temple de la Tradition.
Au niveau
de la législation commerciale et contractuelle,
la femme était, jusqu’au 3 juillet 1995, considérée comme
mineure. L’article 6 de la loi commerciale et l’article 726
de la loi des obligations et contrats conditionnaient l’octroi à une
femme du statut de commerçante par l’accord préalable de
son mari. Conformément à l’amendement de 1995, ces dispositions
ont été abolies. Dorénavant, la femme mariée est libre d’exercer
le commerce sans avoir besoin de l’accord préalable de son
mari.
Le code
du travail contient des dispositions discriminatoires à l’égard
des femmes. La fusion à partir du 13 juin 1975 des deux salaires
minimums garantis (SMIG) aux hommes et aux femmes n’a pas
permis à celles-ci, à l’époque, de rattraper les salaires
de leurs collègues masculins de même catégorie socioprofessionnelle à âge égal
et à travail égal, puisqu’ils étaient moindre de 1/6. Aujourd’hui
encore, cette distorsion salariale perdure puisque, à travail
similaire et à compétences égales, les femmes touchent 40
pour cent de moins que les hommes (voir tableau no. 4).
Le code
de la fonction publique, daté du 14 février 1958,
exclut les femmes de certains secteurs publics. C’est pourquoi
un ministère comme celui des PTT (Postes, télégraphes et
télécommunications) réserve les postes de facteur et d’agent
de ligne aux hommes, et des administrations comme celle des
sapeurs-pompiers sauvegarde la masculinité de ce corps. Même
des départements aussi importants que ceux de l’Intérieur
et des Affaires étrangères résistent à la féminisation des
effectifs de certains de leurs secteurs.
Il
fallut attendre l’année 2000 pour voir des femmes devenir
ambassadrices ou consuls. Avant 1995, hormis le cas du
Haut commissariat aux handicapés, dirigé par une femme,
aucune autre ne faisait partie du gouvernement ni n’occupait
un poste dans les hautes instances politiques officielles
ou
administratives. La fonction de secrétaire général de ministère
demeurait une fonction masculine. Il fallait chercher au
niveau des directions pour trouver quelques nominations
féminines.
Selon l’étude du ministère de l’Emploi et des affaires
sociales sur « L’élaboration de la stratégie d’action de
la promotion de la femme au Maroc », sept femmes sur 144
se trouvaient à la
tête de directions dans les départements de l’environnement,
du tourisme, des finances, de l’intérieur et des affaires étrangères.
En 1998, Fatima Bennis est nommée directeur général de
la Bourse des valeurs à Casablanca, puis directeur général
de l’Office national du tourisme. Durant cette même année,
Rahma Bourqia est désignée par dahir (« décret »)
royal doyenne de la Faculté des lettres et des sciences
humaines de l’Université de Mohammedia.
Dans
le domaine judiciaire, si les femmes avaient accédé progressivement à la
fonction de juge et de magistrat au niveau des diverses juridictions
(première instance, Cour d’appel, tribunaux administratifs),
elles demeuraient quasi absentes de certaines instances,
telles le Conseil suprême de la magistrature, la Cour suprême
et le Conseil constitutionnel, où Saadia Belmir est le seul
membre féminin, exerçant aussi la fonction de présidente
de chambre à la Cour suprême. D’autres institutions, telles
l’officiel Conseil consultatif des droits de l’Homme et le
Conseil du suivi du dialogue social, étaient exclusivement
masculines. Le même phénomène se reproduisait dans les syndicats,
chambres et organisations professionnelles. Mais le syndicat
de gauche, la CDT (Confédération démocratique du travail),
finira par élire une femme dans ses instances dirigeantes.
Malgré ces avancées timides, cette situation de discrimination
de la femme représente une violation à la fois de la Constitution
et du code des libertés publiques, dont l’article 3 stipule
que, dans des conditions d’égalité, la femme a le même droit
que l’homme d’occuper tous les postes publics et d’exercer
toutes les fonctions publiques établies en vertu de la législation,
sans aucune discrimination.
Si l’on prend en considération le fait que ces outils juridiques
des droits civils participent aux dynamiques sociales de
discrimination de la femme et de sa marginalisation, aussi
bien au sein de la famille que dans la société, on ne peut
qu’apprécier positivement dans une large mesure la « modernisation » du
code du statut personnel, intervenu en 2004. Nous y reviendrons
ci-dessous.
Le caractère discriminatoire de ces lois n’empêche pas la
jouissance par la femme de plusieurs droits civils, tels
la liberté de circuler et de s’établir dans toutes les parties
du royaume (Constitution, article 9, alinéa 1), le droit à la
propriété (article 15), le droit à l’éducation et au travail
(article 13), la protection de la vie privée (article 10,
alinéa 2) et le droit d’accéder à tous les emplois de la
fonction publique (article 12) (voir tableau no. 5). Mais,
comme nous venons de le voir, ce dernier droit est violé par
certaines dispositions du code de la fonction publique.
Tableau
no. 5 :
Les
droits civils et politiques de la femme dans la Constitution
du Maroc
Droits
civils
|
Droits
politiques
|
Le
droit à l’éducation et au travail
|
Le
droit de voter aux élections
|
La
liberté de circuler et de s’établir
dans toutes les parties du royaume
|
Le
droit de poser sa candidature aux élections
|
La
protection de la vie privée et
de la correspondance
|
La
liberté d’opinion, la liberté d’expression
sous toutes ses formes et la liberté de réunion
|
Le
droit d’accéder à tous les emplois
de la fonction publique
|
La
liberté d’association et la liberté d’adhérer à toute
organisation syndicale et politique
|
Le
droit à la propriété
|
Le
droit de faire grève
|
La
protection contre l’arbitraire
policier et judiciaire
|
B. Des droits politiques des femmes en particulier
C’est dans le domaine des droits politiques que la législation
marocaine a été la plus « progressiste », puisqu’elle a toujours
reconnu l’égalité des genres (article 5). Les trois constitutions
des années 1962, 1970 et 1972, et les deux révisions de cette
dernière (1992 et 1996), ont toutes observé strictement cette
disposition. En vertu de cette loi suprême, la femme jouit
de plusieurs droits politiques, tels le droit de voter et
de poser sa candidature aux élections dans les mêmes conditions
d’égalité que celles de l’homme (article 8, alinéa 2), le
droit à la grève, la liberté d’opinion, la liberté d’expression
sous toutes ses formes et la liberté de réunion (article
9, alinéa 2), la liberté d’association et la liberté d’adhérer à toute
organisation syndicale et politique de son choix (article
9, alinéa 3) et la protection contre l’arbitraire policier
et judiciaire (article 10, alinéa 1) (voir tableau no. 5).
Même si l’adoption constitutionnelle de ces droits politiques
de la femme date de l’année 1962, sa participation électorale
comme électrice et candidate remonte à l’année 1960, date
des premières élections locales. La Constitution de 1962
a consacré ces droits. En 1963, date des premières élections
législatives de l’histoire du Maroc indépendant, la femme
a obtenu et exercé le droit de voter et le droit de poser
sa candidature aux élections législatives dans les mêmes
conditions que l’homme. Depuis, cette pratique est entrée
dans les mœurs politiques du pays. Mais il fallut attendre
l’année 1993 pour voir la première femme marocaine siéger
au Parlement.
Pour
protéger les droits électoraux de la femme, le législateur
a pris plusieurs mesures[1]. À titre
d’exemple, l’inscription pour chaque Marocain sur les listes électorales
est devenue obligatoire en 1997. Cette mesure pourrait inciter
la femme à prendre conscience de son droit de vote. Puisque
le vote demeure personnel, l’homme ne peut pas voter à la
place de la femme.
Ces
différents instruments juridiques nationaux garantissent à la
femme des conditions juridiques de participation politique
au choix de ses représentants dans différentes institutions électives.
Mais
si la Constitution garantit à la femme l’exercice de
plusieurs libertés publiques et lui permet de participer à la
vie politique, elle demeure muette sur l’égalité entre l’homme
et la femme en matière des droits civils, économiques, sociaux
et culturels. En plus de la promulgation de cet arsenal juridique
national, le Maroc a adhéré, sans réserve, dès le 22 novembre
1976, à la Convention internationale sur les droits politiques
de la femme. Il a ensuite ratifié le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (CCPR) en 1979. Il
fallut attendre jusqu’au 21 juin 1993 pour que le Maroc ratifie
la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes (CEDAW, adoptée par l’ONU en 1979), tout en joignant à son
adhésion d’importantes réserves liées à certaines dispositions
concernant le statut de la femme au sein de la famille et
la question de la nationalité des enfants nés d’un mariage
avec un étranger[2].
Malgré ces inconvénients, ces instruments juridiques internationaux
ont renforcé les droits politiques de la femme marocaine
et sa position dans les luttes sociales pour plus de participation
dans les sphères de décision. Ils ont œuvré également comme
outil supplémentaire de pression sur l’État pour qu’il aménage
plus d’espace à la femme et renforce sa politique « féministe ».
2.
Les luttes des femmes marocaines pour la représentation
politique et le « féminisme d’État »
La participation
de la femme marocaine aux luttes politiques remonte à l’époque coloniale, puisqu’elle s’est engagée,
aux côtés de l’homme, dans le projet d’émancipation du pays.
Une fois l’indépendance acquise, elle s’est alors engagée
dans le combat des libertés et de la démocratie.
Les
origines du mouvement féministe marocain remontent au milieu
des années 1940, lorsque la première association féminine,
l’Union des femmes du Maroc, est née en 1944 pour œuvrer
dans le domaine social et participer à la lutte pour l’indépendance
du pays. Pour renforcer son assise sociale et améliorer
sa capacité de mobilisation, le PI s’est doté en 1946 de
la Commission
des femmes istiqlaliennes. La même année, son concurrent
nationaliste, le PDI (Parti démocratique et de l’indépendance),
va créer Akhawat al-Safaa (« Sœurs
de la pureté »). Cette association va
publiquement revendiquer pour la femme « le droit à la
scolarisation », « le droit au soutien légal au
sein de la famille » et « le droit à la visibilité politique ».
Le mouvement des femmes a donc été depuis ses premiers
pas associé aux luttes politiques.
Depuis
l’indépendance, la plupart des partis se sont dotés
d’une section féminine. Pour ne pas laisser l’opposition
conquérir seule le champ social féminin, l’État s’est doté en
1971, dans le cadre de sa politique « féministe », de l’Association
marocaine de planification familiale. Le roi Mohammed V va
nommer sa fille Lalla Aïcha ambassadrice en Italie, puis
au Royaume-Uni. Tout comme l’homme, la femme a elle aussi
fait durant les « années de plomb » (1956-1999)
les frais des campagnes politiques de répression et d’intimidation
de l’État contre les adversaires du régime.
En dehors
des sections féminines des partis d’opposition,
le syndicat étudiant l’UNEM (Union nationale des étudiants
du Maroc) a servi de lieu d’expression de la sensibilité féministe.
En raison de la culture politique contestataire ambiante
au sein du syndicalisme étudiant, ce milieu a servi de laboratoire
d’idées de gauche très ouvert à la cause des femmes. Il a
permis la maturation de l’idée de création de mouvements
féministes autonomes. Ce processus social complexe arrive à son
terme pendant les années 1980, période de création de la
première association féministe, l’UAF (Union de l’action
féminine), proche d’une OADP héritière de la marxiste « Organisation
23 mars ». Elle s’est formée autour du premier journal
féministe marocain « Le 8 mars », dont le premier
numéro parut en 1983. Cette publication était dirigée par
l’avocate Aïcha Loukhmass. Pour son concurrent de gauche
marxiste, le PPS (Parti du progrès et du socialisme, ex-Parti
communiste du Maroc), la création en juin 1985 de l’ADFM
(Association démocratique des femmes du Maroc) servait à renforcer
son assise sociale et à améliorer sa capacité de mobilisation
dans le secteur féminin.
La décennie 1990 voit ce mouvement féministe mûrir et se
diversifier. Il s’enrichit en 1991 avec l’arrivée de l’AMDF
(Association marocaine pour les droits des femmes) et l’AMFP
(Association marocaine des femmes progressistes). Malgré ses
avancées, ce mouvement social féministe marocain est demeuré un
mouvement urbain, implanté dans les milieux universitaires
et animé par la classe moyenne laïque. Ses revendications
s’attaquent désormais aux tabous religieux et sociaux jusque-là épargnés,
dont celui de la Moudawana. Pour les féministes, une participation
et une représentation politiques significatives de la femme
passe par la révision de son statut juridique. Pour elles,
cette participation est un élément essentiel des réformes
politiques.
Suite à une mobilisation sociale sans précédent en 1992,
l’UAF a réussi en trois mois à collecter un million de signatures
en faveur de la réforme de la Moudawana. Elle revendiquait
l’interdiction de la polygamie, la suppression du tutorat,
l’égalité des droits et des obligations pour les deux époux,
l’instauration du divorce judiciaire et la tutelle de la
femme sur les enfants au même titre que l’homme. Cette campagne était
soutenue par les sections féminines des trois autres partis
de l’opposition : l’organisation de la femme istiqlalienne
(PI), l’Ittihadia (USFP) et les femmes du PPS. Mais sous
la pression des directions de leurs partis respectifs, ces
groupes vont retirer leur appui.
Cette
mobilisation de masse en faveur de l’égalité des droits
avec les hommes était en soi une double victoire politique
pour les féministes marocaines. D’abord, elle a réussi à remettre
en question un texte jugé jusque-là « intouchable » par
les milieux conservateurs et à lever ainsi le tabou du statut
de la femme dans la société. Ensuite, elle a montré l’ouverture
de plusieurs secteurs sociaux et leur soif de changement
social. Ce faisant, elle a soulevé la colère des milieux
conservateurs, islamistes en tête.
Les
milieux conservateurs hostiles aux revendications féminines,
assimilées à une atteinte grave aux fondements culturels
et religieux de la société, se sont alliés de facto.
Pour intimider ces féministes, les oulémas (savants en sciences
religieuses) les ont traitées d’athées, une accusation grave
au regard de la chari’a. Voulant se positionner à l’avant-garde
des conservateurs, les islamistes ont menacé de sérieuses
représailles contre tous ceux qui oseraient rouvrir le débat.
Porte-voix de l’aile ultraconservatrice du pouvoir, Abdelkébir
Alaoui M’daghri, ministre des Affaires islamiques, a reproché aux
associations féministes de s’immiscer dans un domaine où l’on
ne peut en référer qu’au comité scientifique des oulémas.
Or, ce comité avait dès le départ opposé un refus catégorique à toutes
les revendications féminines. Pour frapper l’imaginaire,
ce ministre a accusé ces associations de menacer la continuité religieuse
musulmane du pays.
Pour éviter à la fois la polarisation de la société entre
secteurs moderniste et conservateur, et la politisation du
débat, prétexte d’une mobilisation islamiste, Hassan II dans
un premier temps prononce, le 20 août 1992, un discours rassurant
en direction des mouvements des femmes. Ensuite, en sa qualité de
commandeur des croyants, il s’empare de la question de la
réforme de la Moudawana pour la soumettre au Conseil supérieur
des oulémas. Au bout du compte, la « réforme » de 1993 de
cette institution gardienne de la Tradition officielle n’a
rien changé à l’essentiel. Comme prévu, les féministes étaient
mécontentes de telles mesures, jugées insuffisantes.
C’est dans ce contexte social volatile que le pays va assister
en 1993 à un événement historique : l’accession pour
la première fois d’une femme au Parlement, au grand bonheur
des milieux féministes. À cette occasion, la gent féminine
a fait élire six pour cent de son effectif de candidates.
Elle était représentée par deux femmes professeurs d’université,
Badia Skalli (USFP) et Latifa Bennani-Smirès (PI). La première
a été élue présidente d’une commission parlementaire et la
seconde, membre du bureau du Parlement. Quatre ans plus tard,
cette proportion a régressé à 2,9 pour cent. Nous enregistrons
donc entre les deux législatures, 1993-1997 et 1997-2002,
une baisse de la participation de la femme au segment parlementaire
des élites politiques nationales.
Pour
rassurer les milieux féministes inquiets de constater
cette régression, le roi désigne le 14 août 1995 au poste
de secrétaire d’État du gouvernement Filali III les quatre
femmes suivantes : Zoulikha Nasri à l’Entraide nationale,
Nawal el-Moutawakil au Sport, Aziza Bennani à la Culture
et Amina Benkhadra au Développement du secteur minier. Originaire
d’Oujda, Nasri est titulaire d’un doctorat d’État en droit
privé auprès de l’Institut des assurances de Lyon. Elle a
enseigné dans différents instituts et à la faculté de droit
de l’Université Hassan-II (Casablanca). Dès 1994, elle a été à la
tête de la direction des assurances. El-Moutawakil était
la championne aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984.
Elle a obtenu un diplôme d’éducation physique de l’Université d’Iowa
(États-Unis). Elle est membre du Comité international des
jeux de la francophonie et du comité exécutif de la Fédération
internationale d’athlétisme. Bennani était professeur de
littérature espagnole à l’Université Mohammed V depuis 1982,
et sa désignation en 1988 comme doyenne de la Faculté des
lettres et des sciences humaines de l’Université de Mohammedia était
une première pour les femmes marocaines. En mars 1994, elle
a été nommée au poste de haut commissaire aux handicapés.
Pour sa part, Benkhadra est docteur ingénieur en sciences
et techniques minières. Elle a occupé divers postes de responsabilité au
sein du Bureau de recherches pétrolières du Maroc, avant
d’accéder au poste de directeur des mines au ministère de
l’Énergie et des mines. Le profil sociologique de ces quatre
femmes est donc moderne.
Ces
nominations féminines étaient un événement historique.
Elles répondaient à des considérations politiques. Comme
le pouvoir était engagé dans des négociations avec l’opposition
modérée pour former un gouvernement de transition, il voulait
couper court à une première mesure « féministe » (désigner
des femmes), que cette opposition avait l’intention de prendre
une fois aux affaires. Cette décision symbolique a été précédée
par l’accession, quelques années auparavant, de quelques
femmes à des postes administratifs très élevés, tels ceux
de directeur au niveau de la direction centrale et d’inspecteur
général de ministère.
Pour
coordonner leurs actions et faire monter la pression sur
les autorités et les partis politiques, un comité national
de coordination féminine, Jossour (« pont »),
a vu le jour. Ce lobby comprend les groupes suivants : l’UAF,
l’ADFM, l’AMDF, la Ligue nationale des femmes fonctionnaires
du secteur public et semi-public et le FFM (Forum des femmes
marocaines). Comme l’a indiqué Maria Angeles López Plaza[3], l’objectif de ce lobby était
double : d’abord, l’imposition de la question des femmes
comme un des principaux éléments des programmes électoraux
des partis, ensuite, la garantie à terme de la parité dans
la représentation politique. Jossour a proposé les mesures
suivantes : l’adoption d’un mode de scrutin par liste censé être
plus ouvert à la participation des femmes et l’adoption par
les différents partis de quotas féminins d’un minimum de
20 pour cent. À cette occasion, seuls l’USFP, le PSD (Parti
socialiste démocratique) et le MDS (Mouvement démocrate social)
se sont engagés à observer des quotas entre dix et 25 pour
cent.
Après plusieurs négociations, Abderrahmane Youssoufi, le
chef de l’USFP, a accepté en février 1998 de former un gouvernement
de transition[4]. L’annonce de la formation imminente de ce cabinet
avait soulevé beaucoup d’espoir parmi les féministes ;
mais dès la formation du cabinet, elles se sont rendues compte
que parmi 41 portefeuilles, seuls deux sont accordés aux
femmes (4,9 pour cent, contre 9,75 pour cent en 1995), membres
de l’USFP : Aïcha Belarbi (secrétaire d’État à la coopération)
et Nezha Chekrouni (secrétaire d’État auprès du ministre
de l’Emploi, chargée des handicapés). Le poids de la femme
au sein du nouveau gouvernement a donc décliné, puisqu’elle
perd deux postes. Lors du remaniement ministériel de 2001,
Chekrouni devient ministre déléguée auprès du ministre de
l’Emploi, chargée de la femme et de la protection de la famille.
Presque
deux ans plus tard, Hassan II décède, en 1999. Lui
succède son héritier Mohammed VI (36 ans). Le pays est alors
porté par un immense espoir de croissance économique, de
démocratisation et de modernisation du statut des femmes.
C’est dans ce contexte que le gouvernement a chargé Saïd
Saâdi (secrétaire d’État auprès du ministre de l’Emploi,
chargé de la protection sociale, de la famille et de l’enfance),
membre du PPS, d’élaborer le fameux projet d’intégration
de la femme au développement économique et social. Cela sera
chose faite en 1999. Ce « Plan Saâdi », composé de
215 idées, vise à améliorer les conditions de vie de la femme
dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’emploi.
En vue de réformer la Moudawana, son volet juridique insistait
sur les éléments suivants :
-
le
relèvement de 15 à 18 ans de l’âge minimal du mariage pour
les filles ;
-
l’instauration
d’une tutelle paternelle facultative (et non obligatoire)
pour le mariage des jeunes femmes majeures ;
-
l’interdiction
de la polygamie ;
-
la
systématisation du divorce judiciaire (et l’interdiction
de la répudiation unilatérale pour l’homme) ;
-
le
partage équitable des biens du couple en cas de divorce.
Atteint
de myopie politique, dans la meilleure des hypothèses,
ou animé par une volonté secrète de torpiller ce projet,
dans le pire des cas, le cabinet a annoncé ce projet sans
prendre le temps de l’expliquer et de préparer l’opinion
publique. À cette occasion, ce cabinet a montré combien il était
incapable de réaliser l’importance des campagnes de communication
moderne pour faire vendre un produit politique, ce qui permet
de se demander si son aile moderne et ses bras politiques
(USFP, PPS, PSD et FFD [Front des forces démocratiques])
allaient vraiment être à la hauteur des défis du 21ème siècle
naissant, un monde de communication publique. Face à eux,
le courant conservateur, islamistes en tête, a montré une
intelligence du rôle fondamental de la communication dans
les guerres culturelles froides.
Au cours
des premiers mois du nouveau règne, un vent frais
se faisait sentir. La parole s’était sensiblement libérée.
Plusieurs mouvements sociaux se mobilisaient à visage découvert.
Mais, ayant pris conscience du « sérieux » de la démarche
gouvernementale quant au projet d’intégration de la femme
au développement, les milieux conservateurs se sont mobilisés
pour le faire échouer, au nom de la défense de la chari’a.
Après une campagne conservatrice de communication assez efficace,
le gouvernement inaudible et divisé avait perdu la bataille
de l’opinion publique.
Face à la mobilisation des modernes, qui ont organisé le
8 mars 2000 une marche en faveur du « Plan Saâdi » dans la
capitale Rabat, les traditionalistes, animés par les islamistes
du légaliste PJD (Parti de la justice et du développement)
et épaulés par ceux du mouvement officieux Justice et bienfaisance,
ont tenu la leur dans la métropole Casablanca pour manifester
leur opposition à ce plan d’intégration de la femme au développement.
La démonstration des forces mobilisées par les conservateurs
a été plus impressionnante que celle du camp adverse. L’importante
couverture médiatique de ces deux marches a montré la division
de la société en deux camps quant à la question de la femme :
le camp des réformistes et celui des conservateurs. Elle
a montré également l’importance de cette question pour la
société et l’émergence d’une opinion publique qui peut se
mobiliser quand il s’agit d’enjeux d’importance.
Devant
la force de mobilisation du camp conservateur, le premier
ministre
Youssoufi a reculé et a lâché à terme le
père du plan. Manquant de courage politique, il a « refilé la
patate chaude » à Mohammed VI en sa qualité de commandeur
des croyants : belle revanche de la Tradition sur la
modernité.
Un an
plus tard, le roi annonce, le 27 avril 2001, la formation
de la Commission
royale consultative chargée de la révision
de la Moudawana. Il invite les membres de cette instance « être à l’écoute
de toutes personnalités, instances, organisations, associations
et autres parties concernées ». À cause des conflits
nés au sein de cette commission, entre ses ailes conservatrice
et moderniste, et l’hostilité machiste visible de son président,
le roi désigne M’hamed Boucetta, président sortant du PI,
comme nouveau président. À travers ses discours et ses interventions
publiques, Mohammed VI n’a cessé d’envoyer des signes en
faveur de l’association de la femme au développement du pays
et à l’exercice de tous ses droits. Évidemment, une telle
intégration ne pouvait se faire tout en gardant le même esprit
du code du statut personnel. Comme nous l’avons mentionné précédemment,
cette commission a fini par élaborer un code de la famille
assez progressiste en matière des droits de la femme.
L’adoption à l’unanimité de cette loi par le Parlement est
intervenue dans un contexte politique nouveau, marqué par
le traumatisme causé par les quatre attentats terroristes
simultanés de mai 2003, perpétrés à Casablanca par les jihadistes
marocains sans liens directs avec le réseau d’al-Qa’ida.
Le ralliement à cette loi des 42 représentants du PJD au
Parlement s’explique par cette nouvelle conjoncture, qui
a obligé l’ensemble du mouvement islamiste marocain à faire
profil bas.
Avec
la nouvelle loi de la famille, le Maroc rattrape son retard
sur la
Tunisie et devance les autres pays arabes.
Ce développement ne pouvait que réjouir les États-Unis, dont
les rapports annuels sur la situation des droits de l’Homme
au Maroc étaient critiques de la discrimination fréquente à l’égard
des femmes.
Pour
continuer sur la même lancée « féministe », en vue
des prochaines élections législatives de 2002, le gouvernement
adopte en cette même année le principe de quotas de dix pour
cent de sièges féminins, et ce à travers la mesure d’une
liste nationale réservée théoriquement aux femmes. Pour faire
bonne figure, plusieurs partis parlent d’un quota féminin
de 20 pour cent au sein de leurs organes décisionnels.
À l’occasion de ces élections législatives, les premières
de l’ère Mohammed VI, la représentation des femmes au sein
de la Chambre basse du Parlement fait, comme nous allons
le voir ci-dessous, un bond spectaculaire (10,8 pour cent,
contre 0,61 pour cent précédemment).
Lors
du remaniement ministériel d’octobre 2002, Youssoufi
cède son poste de premier ministre à Driss Jettou. Parmi
les 39 membres de ce cabinet, les femmes représentent près
de dix pour cent des postes, soit un pourcentage similaire à la
représentation féminine à la Chambre des représentants. Parmi
ces trois femmes, deux sont de nouvelles têtes. Il s’agit
de Yasmina Badou, fraîchement élue députée du PI à Casablanca.
Elle est chargée de la famille, de la solidarité et de l’action
sociale (et donc de la condition de la femme). Najima Rhozali
est nommée secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation
nationale et de la jeunesse, chargée de l’alphabétisation
et de l’éducation non formelle. Leur doyenne, Nezha Chekrouni,
qui reste ministre, est cette fois chargée de la communauté marocaine
installée à l’étranger. Ces trois membres du cabinet sont
donc des députées. Leur présence renforce le poids de la
représentation des femmes dans l’exécutif. Toujours dans
le cadre de sa politique de « féminisme d’État », la monarchie
a désigné en 2003 des femmes au Conseil consultatif des droits
de l’Homme, aux conseils de l’audiovisuel et de la magistrature,
et à la Commission justice et vérité, sans oublier la nomination
en 2004 d’une femme pour siéger au sein du Conseil supérieur
des oulémas et 36 autres dans les 36 conseils régionaux.
Cette présence, même limitée, pourrait contribuer à la prise
en compte des doléances féminines par une institution religieuse
traditionnellement conservatrice.
Du côté de la société civile, en vue des élections locales
de 2003, plusieurs initiatives pour renforcer la représentation
de la femme dans les conseils des communes ont été mises
en œuvre. Ainsi, le « Groupe national pour une présence
réelle des femmes dans les collectivités locales » a été créé.
Ce collectif rassemble plusieurs organisations non gouvernementales.
Durant
la dernière décennie du siècle dernier et les premières
années du 21ème siècle, la Maroc a connu un développement
soutenu d’une société civile dynamique. Celle-ci a bénéficié des
développements juridiques, humains et sociaux, intervenus
notamment depuis une quinzaine d’années. Dans le champ politique,
la représentation de la femme au sein du groupe des élites
politiques locales et nationales demeure faible.
3.
Femmes, représentation politique et
participation aux élites politiques locales et nationales
A. Élections communales et « gouvernement » local
Durant
une période de 43 ans, le Maroc a tenu huit consultations
locales. Ces élections ont eu lieu les 29 mai 1960, 28 juillet
1963, 3 octobre 1969, 12 novembre 1976, 10 juin 1983, 16
octobre 1992, 13 juin 1997 et 12 septembre 2003. Ces élections
ont donc eu lieu à des dates irrégulières. En dehors des élections
de 2003, le type de scrutin utilisé lors des autres consultations était
uninominal majoritaire à un tour. La commune est chargée
de la gestion de nombreux aspects de la vie quotidienne sur
les plans économique, social et culturel au niveau de la
campagne et de la ville[5].
Dans
un monde moderne, le discours officiel de la classe dirigeante
du
pays se réfère aux valeurs culturelles liées à la
modernité. Au niveau des élites politiques locales et nationales,
une présence significative de la femme en leur sein fait
partie des éléments constitutifs de ces valeurs.
Les
premières candidatures féminines remontent au 29 mai
1960, mais aucune des 14 candidates aux premières élections
municipales n’a été élue. Parmi elles, les plus en vue étaient
Halima Embarek Warzazi et Lalla Rkia Lamrania (PI). Warzazi
(candidate du MP, Mouvement populaire) s’est présentée à Casablanca
au nom du conservateur et monarchiste du FDIC (Front de défense
des institutions constitutionnelles). Pour mener sa campagne,
elle disposait d’un petit budget de 5 000 dirhams. Après
sa défaite, elle a été nommée premier directeur au ministère
des Affaires étrangères. Elle représentait le Maroc auprès
de l’ONU. Son père (Embarek Jdidi) et son époux (Warzazi) étaient
deux candidats du FDIC, le premier à Tétouan et le second à Marrakech.
De son côté, Lamrania avait un fils membre de la résistance
contre l’occupation française.
En 1963
et 1969, d’autres consultations locales ont eu lieu ;
mais, en raison du contexte de strict contrôle politique
qui les a caractérisées, et vu la répression impitoyable
dirigée contre une opposition embastillée, elles ont eu peu
de signification politique. C’est pourquoi nous les mettons
de côté.
Aux élections communales du 12 novembre 1976, le corps électoral était
de 6 566 961 électeurs, dont 3 111 327 femmes (47,38 pour
cent). Parmi les 76 candidates sur 42 638 (0,17 pour cent),
neuf ont été élues (11,8 pour cent des effectifs féminins)
sur 13 352 conseillers (0,067 pour cent des élus). Parmi
ces édiles se trouvent Zineb Bennani, élue vice-présidente
du conseil municipal de Sidi Kacem, et des élues du PI à Marrakech,
Meknès et Mohammadia. La candidate USFP Badia Skalli s’est
présentée, sans succès, à Bin Lamdoun (Casablanca). Elle
a été battue par un richissime homme d’affaires. Quand elle
militait à la section USFP de l’UNEM à l’Université de Mohammed
V (Rabat), elle était, de ses propres aveux faits à l’auteur
de cette étude, une des « premières étudiantes à avoir mis
l’accent sur l’importance de la participation de la femme à la
vie politique ».
Aux élections locales de 1983, le corps électoral comptait
presque trois millions et demi d’électrices sur un électorat
de 7 069 385 personnes. À cette occasion, 15 493 sièges étaient
en jeu. Le groupe des hommes était représenté par 53 858
candidats (99,44 pour cent), contre 307 candidates (0,57
pour cent). Les femmes ont remporté 43 sièges (0,28 pour
cent de l’ensemble des élus, contre 14 pour cent des candidatures
féminines). Cette présence féminine timide témoigne des limites
sociologiques du discours électoral volontiers « féministe » des
partis, qui ont laissé peu de possibilités à leurs candidates
de se faire élire. Parmi ces édiles, se trouvaient plus de
membres de l’USFP (1,4 pour cent de l’ensemble des élus)
que du PND (Parti national démocrate, 0,5 pour cent), de
l’UC (Union constitutionnelle, 0,2 pour cent), du PI, du
RNI (Rassemblement national des indépendants) et du groupe
des SAP (Sans affiliation partisane). Ni le PPS ni le MP
n’ont fait élire une seule femme. Badia Skalli, la malheureuse
candidate USFP en 1976, a été élue cette fois. Elle fera
office de vice-présidente de la municipalité de Maârif (Casablanca).
En 1992, elle siégera dans la municipalité de Mers Sultan,
lieu de sa résidence. Elle sera aussi élue première députée
aux élections législatives de 1993, puis réélue en 1997.
Elle ne se portera pas candidate aux élections législatives
de 2002. Sa propre sœur, Nezha Skalli, va siéger en 1997
dans la municipalité de Sidi Belyout (Casablanca) sous les
couleurs du PPS. Aux élections législatives de 2002, elle
sera élue dans le cadre de la liste nationale de son parti.
Tableau
no. 6 :
La
représentation des femmes dans le « gouvernement » local
Année
|
Inscrits
|
Votants
|
Taux
de participation
|
Candidats
|
Élus
|
Nombre
total
|
Nombre
de Femmes
|
Nombre
total
|
Nombre
de femmes
|
1976
|
6 566 961
|
4 331 438
|
65,95 %
|
42 638
|
76 (0,17 %)
|
13 358
|
9 (0,067%)
|
1983
|
7 069 385
|
5 085 226
|
71,93 %
|
54 162
|
307 (0,57 %)
|
15 493
|
43 (0,28%)
|
1992
|
11 513 809
|
8 793 682
|
74,64 %
|
93 773
|
1 086 (1,16 %)
|
22 240
|
77 (0,35%)
|
1997
|
12 941 779
|
9 724 199
|
75,13 %
|
102 292
|
1 651 (1,61 %)
|
24 236
|
83 (0,34%)
|
2003
|
14 620 937
|
7 918 640
|
51,55 %
|
122 658
|
6 024 (4,91 %)
|
23 689
|
127 (0,54%)
|
Aux élections locales de 1992, le corps électoral comptait
11 513 809 inscrits, dont 48 pour cent de femmes. À cette
occasion, 22 240 sièges étaient en jeu. Le groupe des hommes était
représenté par 92 687 (98,84 pour cent), contre 1 086 candidates
(1,16 pour cent). Les femmes ont remporté 77 sièges (0,35
pour cent de l’ensemble des élus, contre 7,09 pour cent des
candidatures féminines). Ces femmes ont fait élire 17 membres
de l’USFP et du RNI (22 pour cent chacun), 11 du PI (14 pour
cent), huit SAP (dix pour cent), sept du MP (neuf pour cent),
six de l’UC (7,8 pour cent), cinq du PND (6,5 pour cent),
quatre du MNP (Mouvement national populaire, cinq pour cent)
et deux du PPS (2,6 pour cent)[6]. Ni le MPDC (Mouvement populaire
démocratique et constitutionnel) ni le PA (Parti de l’action)
ou le PDI n’ont fait élire une seule femme. Fatima Belmouden
faisait partie des élues de l’USFP dans la municipalité de
Maârif (Casablanca). Un an plus tard, elle sera élue pour
la première fois députée, puis réélue en 1997. Aux élections
législatives de 2002, elle sera de nouveau élue, mais cette
fois dans le cadre de la liste nationale de son parti. Rappelons
que son défunt mari était député de l’USFP dans la législature
de 1984-1993.
Le décalage entre le pourcentage des candidatures féminines
(1,16 pour cent) et celui des élues (0,35 pour cent) indique
d’une part que l’électorat n’est pas encore prêt à faire
confiance aux capacités féminines dans la gestion des affaires
locales et d’autre part que la confiance des partis, notamment
ceux de gauche, dans les compétences gestionnaires féminines
est plus élevée que celle de la société. La société est donc
plus conservatrice que les partis politiques.
Aux élections communales du 13 juin 1997, le corps électoral
comptait 12 941 779 inscrits. À cette occasion, 24 236 sièges étaient
en jeu. Les secteurs féminins de l’USFP, du PI, du PPS et
du PSD ont adressé un « appel aux femmes » pour
qu’elles s’impliquent davantage dans la vie politique et
dans leurs formations respectives, pour permettre à plus
de femmes de se présenter en leur nom[7].
Le groupe des hommes était représenté par 100 641 candidats
(98,39 pour cent), contre 1 651 candidates (1,61 pour cent).
Les SAP arrivaient en tête (227 candidates : 14 pour cent).
Du côté des formations politiques, les femmes ont présenté plus
de candidates membres du PI (197 personnes : 12 pour cent)
que de l’USFP (182 : 11 pour cent), du PPS (133 : huit pour
cent), du RNI (130 : huit pour cent), du MDS (122 : sept
pour cent), de l’UC (121 : sept pour cent), du PSD (116 :
sept pour cent), de l’OADP (91 : six pour cent), du MNP (86
: cinq pour cent), du MP (83 : cinq pour cent), du PND (69
: quatre pour cent), du PA (60 : quatre pour cent) et du
PDI (33 : deux pour cent). Presque le tiers de ces femmes était
de gauche. Cette faiblesse montre que malgré sa rhétorique
traditionnelle « féministe », la gauche demeure
elle aussi sous l’emprise d’une culture électorale conservatrice,
qui veut que les femmes aient peu de chances d’être élues.
Une telle vision amène les états-majors masculins des formations
de cette famille politique à présenter peu ou pas de femmes
aux élections. Le profil régional de ces candidatures féminines
est principalement urbain, puisqu’elles se recrutent principalement
dans des villes comme Casablanca, Rabat, Meknès, Fès, Salé,
Marrakech et Kénitra. Ce cadre de vie urbain touché par la
modernisation est le lieu d’enracinement d’une population
en majorité de classes moyennes. Cette dimension sociologique
rend ces localités relativement plus ouvertes au phénomène
de candidatures féminines.
Les
femmes ont remporté 83 sièges (0,34 pour cent de l’ensemble
des élus, contre 5,03 pour cent des candidatures féminines).
Ce pourcentage est très inférieur par rapport au taux de
féminisation de la population active, qui était de 27,8 pour
cent[8]. Ces édiles
ont fait élire 28 membres de l’USFP (33,73 pour cent), 12
de l’UC (14,46 pour cent), neuf du RNI (10,84 pour cent),
huit du MP (9,64 pour cent), sept du PI (8,43 pour cent),
six du MDS et des SAP (7,23 pour cent), trois du MNP et du
PPS (3,61 pour cent) et une seule du PND (1,2 pour cent).
Des partis comme l’OADP, le PSD, le PA et le PDI n’ont réussi à faire élire
aucune des 300 candidates restantes[9].
Durant
les périodes 1976-1983 et 1997-2002, aucune des femmes élues
aux différentes élections locales n’a réussi à se faire « élire » à la
tête d’une seule commune.
Les élections locales de 2003, les premières du genre sous
le nouveau roi Mohammed VI, devaient permettre la mise en œuvre
des dispositions de la nouvelle charte communale, tendant à asseoir
sur des bases solides la décentralisation et la démocratie
locale à travers, tout particulièrement, la consécration
du choix de l’unité de la ville[10]. À cette
occasion, l’âge de vote a été abaissé de 20 à 18 ans. Également,
les principes de liste nationale et de quota féminin, utilisés
lors des dernières consultations législatives de 2002, ont été mis
de côté. Au niveau du type de scrutin, le scrutin de liste à la
représentation proportionnelle est utilisé dans les communes
peuplées de plus de 25 000 habitants et dans les arrondissements,
et le scrutin uninominal dans les autres communes.
Le corps électoral comptait 14 620 937 inscrits et 23 689
sièges en jeu. Le groupe des hommes était représenté par
116 634 candidats (95,09 pour cent), contre 6 024 candidates
(4,8 pour cent). Les femmes ont remporté 127 sièges (0,54
pour cent de l’ensemble des élus, contre deux pour cent des
candidatures féminines). Ces femmes ont fait élire 27 membres
de l’USFP (21 pour cent), 18 du PI (14 pour cent), dix du
PJD (huit pour cent), neuf de l’UD (Union democratique, sept
pour cent), huit du MNP (six pour cent), sept du PPS, du
RNI et du MP (5,5 pour cent), six de l’UC (4,7 pour cent),
quatre du FFD (trois pour cent), trois du PND, du PSD, du
PDP (Parti du pacte) et des SAP (deux pour cent), deux du
MDS, de l’ADL (Alliance des libertés), du PML (Parti marocain
libéral) et du CNI (Congrès national ittihadi) et une seule
du PCS (Parti du centre social), du PED (Parti de l’environnement
et du développement), de la GSU (Gauche socialiste unifiée)
et du PRE (Parti du renouveau et de l'équité). Pour les femmes
candidates, des partis comme le PRD (Parti de la réforme
et du développement), le PDI, le PA, l’ICD (Initiatives citoyennes
pour le développement) et le PFC (Parti des forces citoyennes)
ne sont pas des outils efficaces pour réussir à se faire élire.
Mais, comparées à leurs camarades masculins, elles ne représentaient
dans le meilleur des cas que 11 pour cent (USFP). Chez les
autres groupes politiques, elles n’ont pas dépassé dans le
meilleur des cas les quatre pour cent. Les femmes élues se
sont recrutées à plus du tiers (35 pour cent) de leurs effectifs
dans la gauche. Même si, par rapport aux compétitions précédentes,
le résultat enregistré à cette occasion par les femmes représente
une avancée notable, il demeure négligeable.
Durant
ces consultations communales tenues entre 1976 et 2003,
le corps électoral s’est développé en raison du dynamisme
démographique du pays. Le taux de participation a entamé son
déclin après une certaine embellie. Plusieurs changements
sociopolitiques ont eu lieu et le personnel chargé de la
gestion du « gouvernement » local s’est de plus en plus professionnalisé.
Si le nombre de femmes candidates et élues a augmenté (voir
tableau no. 6), il a en même temps reculé, du fait de l’augmentation
du nombre total des candidats et des sièges en compétition.
Si les
autorités politiques du pays veulent vraiment encourager
la participation de la femme à la gestion des affaires locales,
elles doivent, lors des prochaines élections locales prévues
en principe en 2008, réserver des quotas féminins d’au moins
20 pour cent. Pour « convaincre » les partis de s’y conformer,
elles devraient mettre en place un ensemble de mesures de
pénalités financières, entre autres, contre les partis fautifs.
L’histoire électorale du pays depuis les 40 dernières années
a montré que, laissés à eux-mêmes, les partis résistent au
processus de féminisation de leur personnel politique et
donc de leurs représentants dans les institutions locales
et nationales, d’où la nécessité de telles mesures. Pour être
plus efficace, un tel choix gouvernemental devrait être accompagné d’un
effort d’éducation populaire et de la mobilisation significative
du mouvement féministe marocain dans son ensemble, des sections
féminines partisanes et des ONG favorables à une présence
significative des femmes dans le champ politique local.
B. Élections législatives
et Parlement
Durant
une période de 40 ans, le Maroc a tenu sept consultations
législatives. Elles ont eu lieu le 17 mai 1963, le 28 août
1970, le 3 juin 1977, le 14 septembre 1984, le 25 juin 1993,
le 14 novembre 1997 et le 27 septembre 2002. Jusqu’à 1993,
inclus, le type de scrutin utilisé était uninominal majoritaire à un
tour. Aux élections de 2003, le type de scrutin proportionnel
a été choisi. Les six premières consultations ont été organisées
sous la férule du roi conservateur Hassan II. Elles étaient
régulièrement entachées d’irrégularités. Les dernières élections
législatives en date ont été organisées dans un contexte
politique nouveau, marqué notamment par l’arrivée au pouvoir
du nouveau roi Mohammed VI. Ce jeune souverain était soucieux
de la nécessité d’améliorer l’image de son régime. Au niveau électoral,
un des premiers tests de cette nouvelle orientation était
la tenue d’élections propres.
Aux élections législatives du 17 mai 1963, les premières
du règne de Hassan II, le corps électoral comptait 4 803
654 inscrits. Si le taux de participation national était
de 73 pour cent (contre 75 pour cent aux communales de 1960),
celui féminin était de l’ordre de 45 pour cent en ville et
de 39 pour cent dans les campagnes. À cette occasion, 144 sièges étaient
en jeu. Parmi les 690 candidats qui avaient pris part à la
compétition, 16 (deux pour cent) étaient des femmes. Aucune
d’elles n’a été élue. Sept ans plus tard, une deuxième consultation
a eu lieu. Elle s’est déroulée alors que le régime s’était
encore plus acharné sur l’opposition, d’où le peu d’intérêt
attaché à ce « rendez-vous ».
Sept
ans plus tard, en 1977, les troisièmes élections législatives
ont été tenues. À cette occasion, le corps électoral comptait
6 519 301 inscrits (90 pour cent de la population en âge
de voter), dont 3 164 737 électrices (48,54 pour cent). Par
rapport aux consultations locales de 1976, la structure de
l’électorat a connu une diminution d’électeurs et une augmentation
d’électrices, puisque le groupe masculin a baissé de 57 010 électeurs
et celui féminin s’est enrichi de 53 410 électrices, passant
de 3 111 327 à 3 164 737. À cette occasion, 176 sièges
issus du scrutin universel direct étaient en jeu.
Tableau
no. 7 :
La
représentation des femmes dans la Chambre des représentants
de 1977 à 2002
Date
|
Inscrits
|
Votants
|
Taux
de participation
|
Candidats
|
Élus
|
Nombre
total
|
Nombre
de Femmes
|
Nombre
total
|
Nombre
de Femmes
|
1963
|
4 803 654
|
3 448 539
|
71,79 %
|
690
|
16 (2,32 %)
|
|
0
|
1977
|
6 519 301
|
5 369 431
|
82,36 %
|
706
|
8 (1,13 %)
|
176 (sur 264)
|
0
|
1984
|
7 414 846 begin_of_the_skype_highlighting 7 414 846 end_of_the_skype_highlighting
|
4 999 646
|
67,43 %
|
1 333
|
15 (1,12 %)
|
199 (sur 295)
|
0
|
1993
|
11 398 987
|
7 153 211
|
62,75 %
|
2 009
|
33 (1,64 %)
|
222 (sur 333)
|
2 (0,9 %)
|
1997
|
12 790 631
|
7 456 996 begin_of_the_skype_highlighting 7 456 996 end_of_the_skype_highlighting
|
58,30 %
|
3 288
|
69 (2,09 %)
|
325
|
2 (0,61 %)
|
2002
|
13 884 467
|
7 165 206
|
51,61 %
|
5
865 (sur 1
774 listes)
|
266 (4,53 %)
|
325
|
35 (10,77 %)
|
Le groupe
des hommes était représenté par 698 candidats
(98,87 pour cent), contre huit candidates (un pour cent).
Ces femmes se sont plus retrouvées au PPS (Malika Belghiti,
Badia Mennebhi et Nezha Skalli : 38 pour cent) qu’à l’USFP
(deux candidates : 25 pour cent), le PI ou le MPDC (une chacun
: 12,5 pour cent). La gauche était donc plus ouverte aux
candidatures féminines que la droite. La progression significative
de l’électorat féminin et sa participation massive ne se
sont pas traduites en appui à la candidature féminine, déboire
qui s’explique en partie par le fait que les 4 510 770 ruraux
représentaient 69 pour cent de l’électorat national[11].
Dans les sociétés villageoises marocaines, la Tradition prime.
Aux
consultations législatives de 1984, le corps électoral
comptait 7 414 846 begin_of_the_skype_highlighting 7 414 846 end_of_the_skype_highlighting inscrits, et 199 sièges issus du scrutin
universel direct étaient en jeu. Le groupe des hommes était
représenté par 1 318 candidats (99 pour cent) contre 15 femmes
(un pour cent) : un taux très bas par rapport au taux
de dix pour cent de féminisation de la fonction publique[12]. La moyenne nationale de la candidature féminine était de 1,2
pour cent. Parmi ces candidates, on trouve plus de membres
de l’OADP (dix pour cent de l’ensemble de ses candidats)
que du PPS (deux pour cent), du PI (1,5 pour cent), du PND
(1,3 pour cent), de l’USFP et du RNI (1,1 pour cent) ou du
MP (0,6 pour cent). L’UC avait interdit toute candidature
féminine dans ses rangs. Mais aucune de ces femmes n’a été chanceuse.
Aux élections législatives de 1993, la nouveauté principale était
la mise en place par l’USFP et le PI d’une liste commune
pour couvrir les 222 circonscriptions mises en jeu au suffrage
universel direct et maximiser leurs chances. Le corps électoral
comptait cette fois 11 398 987 inscrits. Le groupe des hommes était
représenté par 1 976 candidats (99 pour cent) contre 33 femmes
(deux pour cent). Parmi ces candidates, on trouve plus de
membres de l’OADP (sept femmes : 21 pour cent) que du PPS
(six femmes : 18 pour cent), du PND (quatre femmes : 12 pour
cent), de la liste commune USFP-PI, des SAP ou du PDI (trois
femmes : neuf pour cent), du PA ou de l’UC (deux femmes :
six pour cent), du RNI, du MNP ou du MP (une femme : trois
pour cent)[13]. Parmi les candidates de l’OADP, se trouvaient
l’avocate Aïcha Loukhmass (923 voix : 2,91 pour cent) dans
la circonscription de Médina et la professeur Habiba Boussabir
dans celle de Mabrouka, toutes deux situées à Casablanca.
La candidate Latifa Jbabdi (1 082 voix : sept pour cent)
s’est présentée à Yacoub el-Mansour (Rabat), Nezha Alaoui
(2 293 voix) à Kénitra-Gharbia (Kénitra) et Amal Hajji (1
573 voix : 6,36 pour cent) à Lamrissa (Salé). Les candidates
du PPS étaient Aïcha Qoba (395 voix) à Khouribga-Central
(Khouribga), Amina Lemrini Elouahabi (1 693 voix : 6,58 pour
cent) à Yacoub el-Mansour et Leïla Rhiwi (1 211 voix : 4,37
pour cent) à Youssoufia-Riad, deux circonscriptions situées à Rabat.
La première des trois candidates de l’USFP-PI s’est présentée à Ben
M’Sick-Sidi Othmane (Casablanca), et les deux professeurs
Latifa Bennani-Smirès (54,52 pour cent des voix)[14] à Fès Saïs (Fès) et Badia Skalli (32,72 pour cent des voix) à Mers
Sultan (Casablanca). Parmi les candidates SAP, se trouvaient
Lalla Fatima Alaoui Salim (475 voix : 2,27 pour cent) à Hassan
(Rabat) et Jamila Bahiri (342 voix : 1,22 pour cent) à Safi-Boudheb
(Safi). Parmi les candidates du PDI, se trouvaient Aïcha
Jbira (394 voix : 1,94 pour cent) à Yacoub el-Mansour et
Latifa Badaoui (974 voix : 3,79 pour cent) à el-Youssoufia,
toutes deux à Rabat. Parmi les candidates du PND se trouvaient
Habiba Hadj Khalifa (1 148 voix : 4,27 pour cent) à Safi-Biyada
(Safi) et Aïcha Rachad (815 voix : 3,89 pour cent) à Hassan
(Rabat). Les deux femmes de l’UC (7,7 pour cent de l’ensemble
de ses candidats) étaient la professeur Halima Jamal (973
voix : 4,65 pour cent) à Hassan-Agdal (Rabat) et la directrice
d’école Khadija Belftouh à Khalifa-Ahmed (Casablanca). Une
des deux femmes du PA était Rachida Zbida (969 voix : 2,50
pour cent) à Safi-Boudheb (Safi). La candidate du MP, présidente
de compagnie, Zhour Omari (1 975 voix), s’est présentée dans
la circonscription Kénitra-Gharbia (Kénitra) et la candidate
du RNI Zahia Dadi (1 601 voix : 6,22 pour cent) à el-Youssoufia
(Rabat)[15].
Les
deux seules femmes élues, Bennani-Smirès et Skalli,
appartenaient déjà à la classe dirigeante de leurs partis
respectifs, puisque la première était membre du comité exécutif
du PI et la seconde du comité central de l’USFP. Leur élection était
une première dans l’histoire parlementaire du Maroc. Dans
un Parlement de 333 députés, elles ne représentaient donc
que 0,6 pour cent. Il n’était pas encore temps au Maroc de
voir cette institution cesser d’être un bastion masculin
imprenable.
Les
législatives du 25 juin 1997 étaient les dernières élections
tenues du vivant de Hassan II. Elles ont préparé le contexte
politique à l’arrivée d’une nouvelle équipe gouvernementale,
dirigée cette fois par Abderrahmane Youssoufi. À cette occasion,
le corps électoral comptait alors 12 790 631 inscrits, et
325 sièges étaient en jeu[16].
Le groupe
des hommes était représenté par 3 219 candidats
(97,9 pour cent) contre 69 femmes (2,1 pour cent). La vedette
féminine du RNI était sans conteste la célèbre journaliste
et présentatrice télé Nassima El Hor. Les deux candidates
de l’UC étaient la fonctionnaire Amberka Nouri (circonscription
Bab Jdid) et la directrice d’école Khadija Belftouh Mekwar
(Ben M’Sick-Sidi Othmane). Parmi ces candidatures féminines
présentées à Casablanca, l’OADP a mandaté 11 femmes, dont
le médecin Leïla Benzakour Kandil à Mechouar, la chef de
service Houria Cherif Hawat à Maârif, la professeur Nabila
Mounib à My Youssef, la directrice d’école Fatima Tani à Bab
Jdid, l’enseignante Saâdia Saâdi à Messala et l’informaticienne
Souâd Smaou aux Roches Noires. Le PPS a mandaté six candidates.
L’USFP a mandaté dix candidates, dont la psychiatre, chroniqueuse
et professeur universitaire Assia Akesbi (circonscription
Hay Hassani), la députée sortante Badia Skalli (Mers Sultan)
et l’enseignante Fatéma el-Moudden (Ben M’Sick). La part
des femmes de gauche dans le groupe des candidates (39 pour
cent) témoigne d’une part d’une certaine faveur partisane
envers la promotion de la femme, que l’on retrouve déjà dans
les programmes électoraux, et d’autre part de l’influence
des secteurs féminins dans les partis de cette famille politique.
Skalli et el-Moudden allaient être les seules femmes chanceuses
cette fois (2,9 pour cent des effectifs féminins et 0,6 pour
cent des élus). Mais ce résultat ne reflète pas la présence
réelle de la femme dans l’espace public.
Dans
le contexte du nouveau règne de Mohammed VI, les élections
législatives de 2002 étaient, comme nous l’avons déjà mentionné,
supposées fournir la preuve d’un changement réel de régime.
C’est pourquoi les autorités politiques du pays avaient promis
qu’elles seraient propres, transparentes et régulières. Elles
ont été notamment l’occasion de l’adoption de deux mesures
historiques. La première consistait en l’abaissement de l’âge
légal du vote de 20 à 18 ans et la seconde en l’adoption
du principe de quotas de dix pour cent de sièges féminins,
et ce à travers la mesure d’une liste nationale réservée
théoriquement aux femmes.
À l’occasion de ces élections, les premières de l’ère Mohammed
VI, deux listes se sont présentées : la liste locale,
ouverte à tous, et la liste nationale, réservée théoriquement
aux femmes. Le corps électoral comptait 13 884 467 inscrits,
dont 6 877 900 femmes (49,54 pour cent). Comme la classe
dirigeante du pays voulait éviter un éventuel ras de marrée
islamiste, suite aux désillusions populaires vis-à-vis des
politiques inefficaces du gouvernement de « transition »,
elle a demandé au PJD de limiter le nombre de ses candidatures.
Ce faisant, l’objectif était, semble-t-il, de rassurer la
communauté internationale et de préserver ainsi les investissements
extérieurs et le tourisme occidental. En bons élèves de la « démocratie » royale,
le PJD a limité sa couverture électorale.
Pour
conquérir les 295 sièges de la liste locale qui étaient
en jeu, le groupe des hommes était représenté par 5 599 candidats
(95,47 pour cent) contre 269 candidates (4,53 pour cent).
En raison du type de scrutin proportionnel utilisé cette
fois, le candidat en tête de liste était le mieux placé pour
remporter un siège, d’où les intrigues et trésors d’ingéniosité et
de coups bas déployés dans les coulisses des partis. À côté des
14 candidats SAP, tous mâles, 26 partis ont participé à cette
liste locale. Parmi les candidates de ces formations, se
trouvent plus de membres du PFC ou du MNP (7,06 pour cent)
que du PPS (6,32 pour cent), du FFD (5,95 pour cent), du
PED ou du PML (5,57 pour cent), du CNI ou du PND (4,83 pour
cent), de l’USFP, du PA ou du PI (4,46 pour cent), du PSD
(4,09 pour cent), de l’ICD ou du PCS (3,71 pour cent), du
MDS (3,34 pour cent), du MP ou du PDP (2,97 pour cent) du
PJD ou de l’UC (2,61 pour cent), du RNI ou de l’UD (2,23
pour cent), de l’ADL, du PDI, de la GSU ou du PRD (1,85 pour
cent) et du PRE (1,48 pour cent). La multiplicité des offres
partisanes a fractionné la palette des candidatures féminines
et a donc empêché une certaine concentration à ce niveau.
Au niveau des familles politiques, la gauche n’a permis qu’à un
peu plus du quart des effectifs féminins de se retrouver
parmi ses rangs. Cette faible représentation des femmes est
encore plus évidente lorsque l’on se penche sur sa présence à l’intérieur
du groupe de candidats dans chaque parti. Elle ne dépasse
pas les huit pour cent. Cette résistance masculine à la représentation
des femmes s’est retrouvée également au niveau des têtes
de liste. Si, dans le meilleur des cas, cette représentation
a atteint par exemple un maximum de 11 pour cent (PML), dans
le cas de plusieurs partis (USFP, CNI, PRE, RNI et UC), de
gauche comme de droite, leur céder du terrain était exclu.
Le prétexte utilisé était qu’elles disposaient déjà d’une
liste nationale de 30 sièges. Comme les partis avaient à la
fois laissé peu de place à la représentation des femmes et
exclu ou limité leur présence à la tête de leurs listes,
il était donc prévisible que peu de femmes soient élues. Étant
donné ces deux obstacles, la moisson des sièges féminins était
maigre : cinq sièges seulement, répartis entre le PI
et le PJD, qui ont récolté deux sièges chacun, contre un
seul pour le MNP.
Les
30 sièges de la liste nationale étaient l’enjeu d’une
compétition entre 26 partis, qui avaient tous essayé de présenter
une liste complète, à défaut de quoi, certains d’entre eux
avaient même ajouté des noms d’hommes (huit dans le cas du
MDS, six pour l’UD et cinq pour le PND) à une liste réservée
théoriquement aux femmes. Mais, heureusement, aucun de ces « intrus » n’a été élu. À cette
occasion, l’USFP s’est révélée être un outil plus adéquat
pour faire élire plus de femmes (17 pour cent) que ne l’ont été le
PI, le PJD ou le RNI (13 pour cent), le MP, le MNP, le PND,
l’UC, le PPS ou le FFD (sept pour cent), et l’UD (trois pour
cent). Les autres formations se sont révélées inefficaces à ce
niveau. Pour les élues de cette liste nationale, la famille
politique de gauche ne s’est pas démarquée nettement de celle
de droite, puisqu’elle n’a fait élire que 35 pour cent des
femmes. Une telle donne permet de montrer les limites du
discours « féministe » de la gauche.
Au sortir
de ces deux épreuves électorales, la femme marocaine
n’est représentée que par 11 pour cent (contre 0,61 pour
cent en 1997) de l’ensemble des membres de la Chambre basse
du Parlement. Son poids dans le groupe des élites politiques
nationales est donc loin de refléter son poids démographique
et sa contribution au monde productif. Mais lorsque l’on
regarde le chemin parcouru par cette femme pour arriver là où elle
est rendue dans cette institution, symbole de la souveraineté populaire,
on pourrait succomber à l’optimisme. Cependant, sans l’apport
décisif de la mesure de quotas, sa représentation n’aurait
pas enregistré le bond « spectaculaire » que l’on vient de
voir. Décidément, il n’était toujours pas temps au Maroc
de voir cette institution cesser d’être un bastion masculin
farouche.
Au cours
de quatre décennies de « tradition » parlementaire,
le Maroc a connu plusieurs changements sociopolitiques importants.
La branche parlementaire des élites politiques nationales
s’est de plus en plus professionnalisée. Le genre féminin
en son sein n’a cessé de gagner tranquillement du terrain,
réussissant récemment à enregistrer une avancée non négligeable.
Mais si l’on garde à l’esprit les résistances masculines
au sein des différentes directions partisanes vis-à-vis de
la représentation de la femme dans les élites politiques
nationales et locales, on ne peut que se demander d’où vient
ce phénomène sociologique.
II.
ISLAM ET PATRIARCAT FACE À LA PARTICIPATION
ET À LA REPRÉSENTATION POLITIQUES DES FEMMES
Comme
nous venons de l’analyser, la participation politique
de la femme marocaine et sa représentation au sein des institutions
représentatives locales et nationales demeurent limitées.
Ce phénomène est lié à la culture patriarcale de la société et
au niveau de son développement éducatif. Sur ce plan, le
rôle joué par l’Islam en tant qu’idéologie n’est pas négligeable.
Le Maroc
appartient à l’espace civilisationnel islamique.
Contrairement à des contrées comme l’Afrique orientale ou
l’Extrême-Orient, où l’Islam s’est répandu grâce à des dynamiques
sociales et à des stratégies pacifiques, par le biais notamment
de commerçants ou d’alliances matrimoniales, l’arrivée au
septième siècle de l’Islam au Maroc était liée à un projet
impérial d’expansion militarisée. Il fallut beaucoup de temps
aux envahisseurs musulmans venant de l’Est pour arriver à bout
des résistances locales acharnées. Même s’il n’était pas
question pour les nouveaux maîtres du pays de renoncer à l’orthodoxie
religieuse d’origine, ils devaient s’adapter aux réalités
locales pour pouvoir, à terme, enraciner l’Islam dans la
durée. C’est pourquoi les gardiens de la Tradition importée
avaient fait plusieurs concessions culturelles et cultuelles
en faveur des autochtones. Comme ils avaient perdu la bataille
sur le front militaire et étaient conscients de leur incapacité à reprendre
l’initiative militaire, ces derniers, loin d’être des objets
passifs des ambitions des autres, avaient adapté leurs cultes
païens à la religion des nouveaux maîtres, une dynamique
observée sur d’autres continents. C’est pourquoi l’Islam
marocain peut apparaître méconnaissable pour des fidèles
orthodoxes du Moyen-Orient.
En réussissant à s’implanter au Maroc, l’Islam, en tant
qu’idéologie, était porteur d’une révolution sociale sans
précédent. Comme l’a soutenu Constant Hamès[17], l’Islam a opéré des transformations profondes
au sein du système tribal. Cette transformation a bouleversé l’organisation
sociale et politique liée au système de parenté. Avant l’arrivée
de l’Islam, « les tribus berbérophones pratiquaient
leurs relations de parenté suivant le système matrilinéaire ».
C’est pourquoi, ajoutait-il, « la succession au pouvoir
politique et l’héritage des biens matériels passaient par
la ligne féminine de la parenté ». Dans ce cadre, le khal (oncle
maternel) était un personnage très important dans la socialisation
des enfants mâles.
L’Islam étant devenu l’idéologie dominante, les règles du
nouveau droit patrilinéaire se sont imposées. Dorénavant,
la succession passerait par la lignée du père. Les conséquences
d’un tel changement juridique se révéleront révolutionnaires,
puisqu’elles affecteront l’ensemble du système social. Dans
une société tribale où la langue autochtone n’était pas transcrite,
et ne se transmettait donc qu’oralement, l’arabisation progressive,
allant de pair avec son islamisation, allait se renforcer
avec l’arrivée, de l’Est, des tribus de Banu Hilal et de
Banu Ma’qil. La langue arabe transcrite, langue du Coran, était
l’outil de dissémination de la nouvelle idéologie.
L’épuisement puis la chute de la dynastie omeyyade à Damas
va accélérer la lutte de pouvoir au sein du lignage du prophète
Mohammad entre sa propre descendance, née de l’union entre
sa fille Fatima Zohra et son cousin Ali ibn Abi Talib (qualifiés
dans la Tradition islamique de chorafas [pluriel de chérif]),
et la maison d’Abbas, l’oncle paternel du prophète. Plusieurs
chorafas seront sacrifiés sur l’autel de cette lutte.
C’est sur le fond de cette toile que l’histoire officielle
présente l’arrivée héroïque d’un certain chérif, Moulay Idriss,
au pays. Selon ce récit, ce personnage fuit les machinations
abbassides qui voulaient intenter à sa vie. Il prit pour
femme une berbère et devint le fondateur de la dynastie idrisside.
Avec cette dynastie, on a assisté, pour la première fois
dans l’histoire du pays, à la consécration du principe chérifien
comme source de légitimité sociale et politique. Une nouvelle
figure d’autorité à base religieuse avait fait son entrée
dans la vie publique. Elle allait modifier la structure du
pouvoir. Deux des dynasties postérieures à celle des Idrissides
(les Saadiens et les Alaouites) revendiqueront à tour de
rôle leur origine chérifienne pour légitimer leur aspiration
au pouvoir. De nos jours encore, l’origine chérifienne (la
noblesse religieuse de l’Islam) continue à être revendiquée
par un ensemble de familles marocaines comme marque de distinction
et de différenciation sociales par rapport aux autres groupes,
qui ne sont pas considérés comme faisant partie du club select
chérifien. Avec l’enracinement de ce phénomène du chérifisme,
l’idéologie patriarcale s’est renforcée encore davantage
dans la société locale.
C’est dans ce cadre que l’idéologie islamique a participé à la
reproduction d’une construction culturelle des relations
entre les genres masculin et féminin. En vertu de cette construction
sociale, l’image dominante de la femme reste celle d’une « mère
et épouse ». Elle est perçue comme une gardienne naturelle
des valeurs sociales, supposées éternelles, à travers la
charge de socialisation des enfants et de reproduction de
l’identité culturelle de la communauté, supposée elle aussi
sacrée et immuable. Cette représentation est renforcée, entre
autres, par les manuels scolaires et le discours public.
Mais cette conception est erronée car elle ignore la réalité sociale
de la femme dans la société d’aujourd’hui. En plus du type
en vigueur de l’organisation sociale du travail et de l’idéologie
de la famille, plusieurs acteurs sociaux, idéologiques et
politiques, y compris les femmes, participent à la reproduction
de cette culture misogyne.
D’abord, au niveau de l’idéologie de la famille, tous les
individus existent en tant qu’êtres sexués. Dès leur tendre
enfance, les hommes comme les femmes sont socialisés en fonction
d’un cadre idéologique associant la supériorité aux premiers
et l’infériorité aux secondes. Dans ce milieu, l’identité masculine
est meublée, entre autres, par le désir et la domination.
Cette conception renforce une division sexuelle du monde
social. Cet espace est agencé et rythmé par la distance et
la séparation sexuelle retrouvées partout. Au sein de la
famille, les rôles et les tâches sont théoriquement différenciés
en fonction du sexe des enfants. Ainsi, les travaux de ménage
sont théoriquement réservés pour les filles, et les garçons
sont explicitement invités à s’en abstenir.
Dans
le cadre de la famille élargie, des occasions de sociabilité mettent
les deux sexes à parts. Ainsi, à l’occasion de la fête du
mariage, la réception a souvent lieu dans des pièces séparées
et à des jours différents. Habituellement, le samedi est
réservé aux hommes et le dimanche aux femmes. Une telle séparation
spatiale et temporelle trouve son origine dans une vieille
conception méditerranéenne de la femme et de l’homme sexués à outrance.
Cette conception, renforcée par la religion musulmane, cherche à éviter,
en l’absence d’un parent de la femme, tout contact « illicite »,
en tête-à-tête, entre elle et un homme, pour éviter qu’ils
ne soient « victime » de la tentation de la chair.
Au moment des premières approches en vue d’un éventuel mariage,
le couple est souvent escorté d’un parent de la femme. De
telles « précautions » donnent à l’acteur social l’impression
de garder le contrôle dans un monde qui lui échappe de plus
en plus. Mais cela n’empêche pas l’existence, dans les sociétés
locales rurales ou urbaines, de plusieurs espaces de sociabilité où les
deux sexes se rencontrent tous les jours (les marchés hebdomadaires
dans les campagnes, les cafés, les clubs, les écoles et la
rue dans les villes, etc.).
Au niveau économique, le produit intérieur brut (PIB) par
citoyen marocain est estimé en 2002 à 3 810 dollars :
un niveau de richesse qui place le pays, selon l’indicateur
du développement humain de l’ONU, dans la catégorie des nations
dont le développement humain est moyen (voir tableau no.
4). Dans ce pays, le taux d’activité féminin par rapport à celui
masculin dans le marché du travail a été estimé en 2002 à 53
pour cent. Dans le marché urbain, ce taux est passé de 8,9
pour cent (1960) à 10,8 pour cent (1971), 14,7 pour cent
(1982) et 22,8 pour cent (1999). Malgré cette participation à la
progression du marché du travail et à la production des richesses
nationales, les femmes continuent à toucher en moyenne un
salaire inférieur de 40 pour cent à celui des hommes, à compétences égales.
C’est pourquoi leurs revenus annuels moyens étaient estimés
en 2002 à 2 153 dollars, contre 5 354 dollars pour les hommes.
Selon
le recensement de 1982, le groupe d’âge le plus concerné par
le salariat était celui des 20-24 ans, suivi de celui des
15-19 ans[18]. Selon les statistiques de 1999, ce taux d’activité est passé de
13,7 pour cent à 35,4 pour cent chez les groupes de 15-19
ans et 25-29 ans, et amorce un continuel déclin à partir
de la tranche des 30-34 ans. En milieu rural, ce taux a continué,
jusqu’à la couche des 50-54 ans, à progresser en fonction
du passage d’une catégorie plus jeune à une autre plus âgée[19]. Dans le milieu urbain, ce déclin s’explique
par le fait que, dans cette tranche d’âge, la proportion
des femmes mariées est plus élevée. Ce changement de statut
s’accompagne, chez plusieurs, par le retour au foyer pour
s’occuper du conjoint et des enfants. La tranche d’âge la
plus présente parmi les salariées est celle des 20-24 ans,
suivie de celle des 15-19 ans : deux tranches généralement
moins touchées par le mariage.
En 1999,
le taux de chômage dans le milieu urbain était
de 27,6 pour cent pour les femmes, contre 20,3 pour cent
pour les hommes, et dans les campagnes il était de 2,1 pour
cent pour les femmes, contre sept pour cent pour les hommes[20]. Dans l’ensemble du pays, plus de femmes que
d’hommes travaillent dans les secteurs de l’industrie et
de l’artisanat (27 pour cent, contre 11,8 pour cent), des
services (15,2 pour cent, contre 4,5 pour cent), de l’administration
publique, de l’éducation, de la santé et de l’action sociale
(16,6 pour cent, contre 11,9 pour cent). Dans le monde urbain,
l’apport féminin est encore plus important dans ces secteurs[21]. De tels pourcentages s’expliquent, entre
autres, par le fait que ces secteurs sont une extension des
tâches traditionnelles de la femme.
Malgré cette participation de la femme au marché du travail,
où elle est de plus en plus présente, et faute d’une vraie
volonté politique, la législation faite par les hommes ne
s’est pas adaptée aux nouvelles réalités du marché de l’emploi,
d’où, entre autres, le manque criant de crèches pour les
bébés des jeunes mères dans les usines ou les entreprises. À cause
de l’immobilisme politique, responsable en partie de l’absence
d’un changement sexo-social dans la division du travail au
sein de l’unité domestique, la femme employée est obligée
par la pression sociale de concilier sa profession et ses
tâches familiales, tâches dévolues traditionnellement au
sexe « faible ». Étant écrasée par le poids de
ses deux tâches, familiale et professionnelle, et devant
l’influence prépondérante de l’idéologie patriarcale, la
femme se trouve découragée de s’éloigner des frontières de
son monde privé.
Dans
le cadre d’un tel milieu social, on est d’emblée peu
porté à l’ouverture à la reconnaissance pleine et entière
de la valeur de la participation de la femme aux affaires
de la cité politique. L’usage par des milieux conservateurs
de hadiths (« paroles prophétiques »), imputés
au prophète Mohammad, comme celui dit « faible » où il est
dit que : « Ne connaîtra jamais la prospérité le peuple
qui confie ses affaires à une femme » (extrait du classique Sahih
al-Boukhari, volume 13), n’est pas de nature à militer
en faveur de la promotion de la femme dans le monde politique
ni à changer les représentations négatives de son image.
Cette représentation idéologique se reproduit dans les différents
champs de la société marocaine, de différentes manières et à différents
rythmes.
En raison
de ces facteurs domestique et professionnel, la femme est
loin d’être motivée à participer à la vie politique.
Dans le cas de celles qui trouvent quand même assez d’énergie
pour s’impliquer réellement dans les partis, elles font face à deux
situations décourageantes. Tout d’abord, la présence des
femmes dans les organes décisionnels (bureau politique et
comité central) est faible. Ainsi, aucune femme ne dirige
un parti, et peu de femmes sont présentes dans les comités
centraux de l’USFP, du PPS, du PI et du PND, ou dans les
bureaux politiques du PPS, du PI, du PSD et du PA. Dans le
cas du PPS, les trois femmes présentes dans son comité central,
suite à son deuxième congrès, étaient Amina Lemrini, Malika
Belghiti et Nezha Skalli. Une seule s’est retrouvée membre
du bureau politique. Pour l’USFP, entre 1975 et 1978, trois
femmes (Aïcha Belarbi, Badia Skalli et Zineb Bennani) ont été élues à son
comité central, qui accueille actuellement quatre femmes. À son
neuvième congrès (1974), le PI affirmait son attachement à l’égalité entre
les deux genres, moyen selon lui de protéger la famille des
méfaits du divorce et de la polygamie. À cette occasion,
neuf femmes, parmi 410 membres, ont été élues à son conseil
national (2,19 pour cent) et trois sur 60 (cinq pour cent) à son
comité central. En 1984, ce parti comptait deux femmes dans
son comité exécutif et huit parmi les 80 membres (dix pour
cent) de son comité central. Au sein de leur bureau politique,
le PSD a accueilli deux femmes et l’OADP une seule. Les femmes
du RNI ont organisé en février 1983 leur premier congrès, à l’occasion
duquel elles ont réclamé la création d’un ministère des Affaires
féminines et l’intégration des femmes à la vie politique.
Dès sa création, le MDS a intégré une femme dans ses instances
dirigeantes.
Ce peu
d’ouverture face aux revendications de leurs sections
féminines et d’intérêt vis-à-vis de la promotion des femmes
au sein des partis s’explique par le contrôle que les hommes
exercent sur les postes de responsabilité et de direction,
et donc sur les machines partisanes. Partageant une culture
traditionnelle ambiante, ils sont portés à favoriser d’autres
hommes et donc à marginaliser les femmes. Comme d’habitude,
ils accordent de faibles possibilités à leurs militantes
d’être élues car, aux états-majors des partis, présenter
des candidates aux élections est considéré comme un pari
risqué. Dans beaucoup de cas, les candidatures féminines
assurent uniquement la fonction d’alibi pour montrer la modernité de
ces partis. Les femmes sont généralement présentées dans
des circonscriptions qui ne sont pas « gagnables »,
sous prétexte que « le peuple marocain est profondément
conservateur » et que « les femmes n’ont aucune
chance de remporter les élections ». De tels propos sommaires
cherchent à camoufler, au sein des différents partis, le
sentiment d’hostilité de plusieurs secteurs masculins aux
candidatures féminines.
Une
deuxième raison explique la marginalisation de la femme
dans les organes décisionnels : Celles qui sont soutenues
par leur famille et trouvent assez d’énergie pour s’impliquer
réellement dans les partis politiques ne bénéficient pas
du soutien de ces machines politiques car, malgré leur discours
volontiers égalitaires, ces formations, qui sont le produit
de la société, continuent en fait à concevoir la politique
comme une affaire d’hommes. Pour se défendre, ils avancent
que les femmes ne veulent pas vraiment s’impliquer dans la
vie politique ou qu’elles n’ont pas les qualités requises
pour un tel engagement. Mais, venu le temps des consultations électorales,
ces mêmes partis se servent du thème de l’émancipation de
la femme pour récolter le maximum de suffrages féminins.
Le fait de se doter de sections féminines n’a pas poussé les
partis politiques à prendre sérieusement à leur compte l’agenda
féminin. De plus, ces sections n’ont pas encore réussi à dépasser
l’état de tutelle dans lequel elles étaient déjà placées
au sein de leurs partis respectifs. Cette donne n’est pas
une nouveauté, puisque, face à un régime autoritaire, la
société marocaine n’a pas cessé depuis plusieurs décennies
de débattre au sein des partis d’opposition et de leurs filiales
syndicales pour savoir s’il faudrait ou non attendre la démocratisation
du régime pour pouvoir régler la question de l’émancipation
de la femme et de son intégration politique. Les féministes
pourraient voir dans cet argument une sophistication de la
volonté partisane de les exclure des postes de décision politique.
Mais,
pour modifier ces équilibres entre les deux genres,
le secteur féminin de plusieurs partis, notamment ceux de
gauche, a encouragé les femmes à participer à la vie politique.
Un tel investissement cherchait également à donner aux femmes
une image positive d’elles-mêmes. C’est pourquoi plusieurs
femmes se sont présentées aux élections. Dans le cas de l’USFP,
devant son échec à amener le parti à prendre à son compte
l’agenda de réforme du code du statut personnel pour entre
autres ménager son courant conservateur, son secteur féminin
a créé une commission nationale de la femme et a imposé en
1978 la présence de femmes dans les bureaux régionaux du
parti. C’est dans ce cadre que quatre femmes (Aïcha Belarbi,
Badia Skalli, Touria Sekkat et Amina Hansali) ont été élues
au conseil national. Mais pour le moment, dû à leur faible
poids au sein de leurs formations respectives, les femmes
ne pourront pas changer les équilibres partisans.
Quant à la participation de la femme elle-même à cette situation
de discrimination, il ne faut pas perdre de vue qu’elle n’est
pas un objet inactif, victime de stratégies machistes. Elle
est au contraire un acteur actif, qui participe aux processus
culturels de production de la société. N’oublions pas que
c’est elle, et non l’homme, qui remplit plusieurs fonctions
importantes au niveau de la famille. C’est elle qui s’occupe
la première de la socialisation des enfants. Elle les initie
aux premières formes de la vie religieuse. C’est elle qui
initie son enfant, jusqu’à l’âge de 9-10 ans, aux rites du
rapport au corps, notamment en matière d’hygiène. À travers
ces exemples, on voit que ce rapport commence dès la tendre
enfance. Et même au moment du mariage, donc à l’âge adulte,
le jeune homme cherche la bénédiction de son choix par sa
mère. Faisant elle-même partie de la société et subissant
ainsi son influence, elle participe à sa reproduction idéologique.
C’est pourquoi elle continue à transmettre à sa progéniture
les valeurs culturelles qui ne sont pas de nature à faire
la promotion de la femme dans la vie politique. L’influence
d’une telle conception culturelle est telle que même des
femmes impliquées dans la gestion du « gouvernement » local
ou présentes au Parlement perçoivent leurs fonctions électives
comme une extension de la sphère domestique. Ainsi, comme
l’avaient confié plusieurs conseillères et députées à l’auteur
de cette étude, elles se voient comme les « sœurs et femmes
[virtuelles] de tous » et, ajoutaient-elles, « les
gens de la circonscription sont comme [leur] famille ».
Mais
pour déroger à l’influence d’une telle conception culturelle
des rapports des genres masculin et féminin, il faudrait
opérer une certaine « rupture » idéologique avec l’idéologie
sociale dominante. C’est pourquoi ce genre de comportement
de « rupture » est percevable chez la gauche. Rappelons que
l’idée même de la gauche au Maroc constitue en fait une rupture
avec l’ordre social pré-capitaliste et que son introduction
au pays est liée à l’arrivée des idées nouvelles en provenance
de l’Europe coloniale. Mais pour le moment, une telle attitude
culturelle de rupture n’est pas chose aisée, étant donné le
faible niveau éducatif de la population féminine en particulier.
L’introduction du système scolaire moderne au Maroc est
liée à l’époque coloniale. Les autorités du Protectorat français
ne voulaient pas scolariser les jeunes filles musulmanes.
En 1927, les leaders nationalistes ont remis au futur Mohammed
V une pétition relative aux droits des femmes. Une première école
pour petites filles musulmanes a été ouverte au Maroc (ville
de Salé) en 1931. Trois ans plus tard, un plan de réforme
pour l’enseignement obligatoire de 6 à 12 ans pour les enfants
des deux sexes a été soumis. En 1937, des notables du royaume
ont ouvert à Fès la première école pour les filles de notables.
Lors de son discours historique de Tanger en 1947, le sultan
Mohammed Ben Youssef (futur Mohammed V) a dévoilé publiquement
sa fille Lalla Aïcha, un geste interprété à l’époque par
les modernistes du mouvement nationaliste comme un signe
d’ouverture vis-à-vis des femmes. D’ailleurs, une femme faisait
partie des signataires du « Manifeste de l’Indépendance ».
À Tanger, ville cosmopolite, il fallut attendre l’année
1936 pour voir une première femme marocaine admise au baccalauréat.
En 1942, sept filles ont obtenu le certificat d’études primaires,
puis 14 en 1944 et 15 en 1945. Cette année là, le nombre
de jeunes femmes musulmanes de Rabat en secondaire est passé de
12 à 193. Entre 1945 et 1955, on comptait quatre bachelières
de plus, dont Latifa Benjelloun et Fatima Benslimane[22].
La deuxième, qui est la petite-fille de deux ministres d’anciens
souverains alaouites, s’est alliée par mariage à la puissante
famille Khatib et a siégé au bureau politique du PI. En 1952,
121 Marocaines de confession musulmane étaient inscrites
dans des écoles secondaires et deux à l’université. En 1954,
154 musulmanes ont accédé au certificat d’études[23].
Pendant
les années 1960, le mouvement de scolarisation a
pris de l’ampleur. Pourtant, les résultats n’étaient pas à la
hauteur. Malgré l’adhésion officielle de l’État au slogan
nationaliste démagogique d’une « éducation obligatoire
et généralisée » à tous les enfants, des deux sexes
et de toutes les régions, le taux d’analphabétisme était
très élevé en 1960. Il était encore plus élevé dans les campagnes
(92 pour cent) que dans les villes (73 pour cent). Ce taux
a reculé entre 1971 et 1994, davantage dans la ville qu’à la
campagne, traduisant les choix urbains du pouvoir, qui voulait
couper court aux menées de l’opposition de gauche et entraver
l’élargissement de ses assises sociales. Pendant cette même
période, l’analphabétisme des femmes a moins reculé que celui
des hommes, passant de 96 pour cent (1960) à 87 pour cent
(1971), 78 pour cent (1982) et 67 pour cent (1994). Ce taux
féminin était de 61,5 pour cent en 2002. Le recul de l’analphabétisme était
encore moins rapide dans les campagnes que dans les villes
(voir tableau no. 8).
Tableau
no. 8 :
Taux
d’analphabétisme par milieu (en %)
|
|
1960
|
1971
|
1982
|
1994
|
Hommes
|
Ensemble
|
78
|
63
|
51
|
41
|
Urbain
|
58
|
39
|
30
|
25
|
Rural
|
85
|
76
|
68
|
61
|
Femmes
|
Ensemble
|
96
|
87
|
78
|
67
|
Urbain
|
88
|
68
|
97
|
49
|
Rural
|
99
|
98
|
95
|
89
|
Total
|
Ensemble
|
87
|
75
|
65
|
55
|
Urbain
|
73
|
54
|
44
|
37
|
Rural
|
92
|
87
|
82
|
75
|
(Source
: Ministère chargé de la population, Direction de la statistique)
Au niveau
du rapport à la lecture, et donc au savoir transcrit,
on constate ainsi un double décalage, d’abord entre la population
urbaine et la population rurale, et ensuite entre la population
masculine et la population féminine. Ce décalage nous montre
quels sont les groupes sociaux qui mobilisent les stratégies
du pouvoir et accaparent les parts les plus importantes de
l’argent public. Pour le régime, le monde urbain, lieu du
pouvoir central et milieu propice à la mobilisation contestataire
de l’opposition, devait avoir la priorité pour soigner les
infrastructures de la puissance publique et détourner les
clientèles potentielles de la gauche. Comme le régime avait
noué une alliance avec les élites locales du monde rural[24],
il pouvait se tourner vers les villes, où la classe moyenne
avait entrepris une alliance avec le prolétariat, une alliance
que le pouvoir devait briser pour éviter la politisation
des luttes sociales.
Quand
on garde à l’esprit que le Maroc était un pays rural
jusqu’aux années 1990, on réalise l’aspect crucial d’une
telle stratégie. Pour ce même pouvoir conservateur, cette
fois en phase avec la société, la scolarisation des jeunes
filles n’était pas aussi primordiale que celle des garçons,
car, comme nous l’avons vu ci-dessus, selon la construction
culturelle des relations entre les genres masculin et féminin,
la place naturelle de la femme devait être dans son foyer
pour exercer pleinement ses rôles traditionnels d’épouse
et de mère ; et l’argent public disponible serait mieux
utilisé s’il était dépensé là où c’est utile, c’est-à-dire
pour former davantage les garçons que les filles, d’où le
déficit scolaire féminin par rapport aux hommes dès l’école
coranique. Ce déficit continue jusqu’au cycle supérieur.
Ainsi, ce décalage qui passe de 66 pour cent à l’école coranique à 30
pour cent au fondamental des premier et deuxième cycles,
atteint 29 pour cent au secondaire et 37 pour cent au supérieur[25]. Le passage d’un cycle fondamental à un
autre plus élevé se traduit donc généralement par le renforcement
de l’inégalité entre les deux sexes. Conjugué au contenu
idéologique conservateur des manuels scolaires, la faiblesse
de la présence des femmes à l’école n’est pas de nature à militer
en faveur de leur intégration sociale et politique.
CONCLUSION
Un demi
siècle s’est écoulé depuis l’indépendance du Maroc.
Au cours de cette période, le pays a connu plusieurs changements
sociologiques et politiques importants. Pourtant, la place
de la femme au sein des institutions représentatives locales
et nationales et donc son intégration au sein des élites
du royaume demeurent strictement limitées. Ce phénomène est
lié à une construction culturelle des relations entre les
genres masculin et féminin. Cette construction idéologique
déprécie son rôle dans la vie publique et la confine à un
rôle traditionnel de « mère et épouse ». Jusqu’à récemment,
le droit faisait partie des boucliers de cette construction.
Ni l’électorat ni les différents partis ni même la femme
elle-même n’ont échappé à l’influence de cette construction,
une situation entretenue également par le faible niveau éducatif
de la population féminine en particulier.
*
Aziz Enhaili est candidat en doctorat de science
politique à l’Université Laval
au Canada. Il est co-auteur (avec Mme Oumelkheir Adda)
du récent article « État et islamisme au Maghreb », Middle
East Review of International Affairs, volume 7,
no. 1 (mars 2003). Il est aussi l’auteur de l’article « Pluralisme
et islamisme au Maghreb, le cas du Maroc », dans Marie-Hélène
Parizeau & Soheil Kash (Eds.), Pluralisme,
modernité et
monde arabe (Québec-Bruxelles-Beyrouth: PUL-Bruylant-Delta,
2001), pp. 159-178. Il est l’auteur de nombreux autres
articles portant sur l’Afrique du Nord.
NOTES
[1]
Dahir no. 1-97-83 du 2 avril 1997 portant promulgation
de la loi
no. 9-97 formant code électoral, Bulletin Officiel,
no. 4470 (3-4-1997), in : Le nouveau droit électoral, Éditions
Remald, no. 6, Rabat, 1997, p. 107.
[2] Le
Parlement va se pencher en cette année 2006 sur un projet de loi révisant
le code de la nationalité pour permettre aux marocaines de
transmettre leur nationalité aux enfants nés d’une union
avec un étranger.
[3] Maria
Angeles López Plaza, « Les femmes sur la scène politique
(au Maroc) », Confluences Méditerranée, no. 31
(automne 1999), pp. 116-117.
[4] Aziz
Enhaili, « (Maroc)
Une transition politique verrouillée », Confluences
Méditerranée, op. cit., pp. 57-75.
[5] Dahir
portant loi no. 1-76-583 du 30 septembre 1976 relatif à l’organisation
communale, Bulletin Officiel du Royaume du Maroc,
no. 3335 bis, 1er octobre 1976, pp. 1051-1057.
[6] Maroc :
1993, Ministère de communication du Royaume du Maroc,
1993, pp. 48-49 ; et Temps présent, no. 1, 23 mai
1997.
[7] « L’appel », Al
Ittihad Al-Ichtiraki, 9 mai 1997.
[8] Le
Matin du Sahara et du Maghreb, 4 juin 1997, p. 14.
[9] Les élections
communales : 1997, Éditions Remald, no. 13, Rabat,
1997, pp. 196-198, 318.
[10] Dahir
no. 1-02-297 du 3 octobre 2002 portant promulgation de la
loi no. 78.00 portant charte communale, Bulletin officiel,
no. 5058, 21 novembre 2002.
[11] Mustapha
Sehimi, Juin 1977 : étude des élections législatives
au Maroc, Éditions Somaded, Casablanca, 1978, pp. 61-64.
[12] Mustapha Sehimi, « Les élections
législatives au Maroc », Monde arabe, Maghreb Machrek,
no. 107 (janvier-février-mars 1985), p. 34 ; et Alain Claisse, « Élections
communales et législatives au Maroc (10 juin 1983, 14 septembre
et 2 octobre 1984) », Annuaire d’Afrique du Nord,
no. 22 (1983), pp. 648-661.
[13] Mohamed
Benyahia, « Les élections législatives 1993 : Aspects
juridiques et premier bilan » (en langue arabe), Revue
marocaine de l’administration locale et du développement,
nos. 4, 5 (juillet, décembre 1993), p. 56 ; La Croix,
25 juin 1993 ; et Al-Hayat, 27 juin 1993.
[14] Elle
a adhéré au PI à l’âge de 15 ans. En 1967, elle est élue
membre du conseil national du parti. En 1983, elle devient
membre de sa commission exécutive. Elle préside l’organisation
de la femme du PI. Aux législatives de 1984, elle a obtenu
38 pour cent des voix, contre 38,75 pour cent récolté par
son adversaire élu. En 1993, 75 pour cent des électeurs qui
avaient voté pour elle sont issus des quartiers populaires.
[15] Le
Matin du Maghreb et du Sahara, 6, 8, 10, 12, 16, 21
et 24 juillet 1993.
[16] « Déclaration
du ministre de l’Intérieur du 15 novembre 1997 », Tout
sur les élections législatives : 1997, Éditions
Remald, no. 18, collection « Textes et documents »,
Rabat, 1998, p. 242.
[17] Constant Hamès, « Parenté,
prophétie, confrérie. Écriture : l’islam et le système tribal »,
dans Hosham Dawod (dir.), Tribus et pouvoirs en terre
d’Islam, Armand Colin, Paris, 2004, pp. 17-37.
[18] Recensement
général de la population et de l’habitat : Maroc,
sondage au 1/20, 1982, p. 167.
[19] Le
Maroc en chiffres : 1999, Ministère de Communication
du Royaume du Maroc, Rabat, 1999.
[21] Dans
le monde urbain, 37,2 pour cent des femmes, contre 20,2 pour
cent des hommes, travaillent dans le secteur de l’industrie
et de l’artisanat ; 23,9 pour cent des femmes, contre 7,7
pour cent des hommes, exercent leurs métiers dans le secteur
des services ; et 26,4 pour cent des femmes, contre 20,3
pour cent des hommes, travaillent dans l’administration publique,
l’éducation, la santé et l’action sociale. Ces chiffres sont
extraits d’une note ronéotypée.
[22] A.
Moulay Rchid, La condition de la femme au Maroc, Éditions
de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales,
Rabat, 1985, pp. 90-91.
[23] Zakya
Daoud, Féminisme et politique au Maghreb. Sept décennies
de lutte, Eddif, Casablanca, 1996, pp. 248-249.
[24] Rémy
Leveau, Le Fellah marocain, défenseur du trône, Presses
de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris,
1974.
[25] Annuaire
statistique du Maroc, 1994.
Équipe du Journal
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