La réforme de santé au Maroc, pertinence et opportunités

A. BELGHITI ALAOUI, MD. MPH.[1]


Le discours sur la santé au Maroc a une double expression. D’un côté, la lecture des indicateurs sanitaires montre une progression notable en matière d'extension de la couverture sanitaire et un recul des mortalités infantile et juvénile; et de l’autre persiste une disparité dans l'état de santé entre milieux et régions et beaucoup d’insuffisance en matière de qualité de soins.

Cette position ambivalente ne réduit en rien l'importance des efforts investis dans le domaine de la santé et le succès qu'ont connu certains programmes de santé, elle questionne toutefois la pertinence d’une référence systématique à un modèle de système de santé mis en place le lendemain de l'indépendance. Ce questionnement est d’autant plus justifié puisqu’il conditionne aussi le choix de toute politique de réforme au Maroc.

En l’absence d’un cadre d’analyse formalisé des réformes, leur appréhension se limite souvent à une analyse de leur pertinence, des opportunités de transformation des systèmes qu’elles permettent et de leur description. C’est ce qui nous amène à présenter ce papier en trois parties : une partie de mise en commun des acceptions de la notion de réforme de santé, une partie d’analyse de la pertinence de la réforme de santé au Maroc et de ses justifications et une partie qui présente le cadrage et les principaux choix stratégiques de la réforme marocaine.  

LES REFORMES DE SANTE

La fin du 2e millénaire aura été, en occident, l’ère des réformes des systèmes de santé. En effet les publications officielles (OCDE, OMS, BM) ainsi que les débats des différents colloques et rencontres des deux dernières décennies ne font que confirmer qu’il est question d’un nouveau courant mondial de transformation des systèmes de santé.

La notion de réforme réfère à un processus de changement. Selon le Petit Robert l’action de réformer vient de "re-former" qui signifie "former de nouveau" (reconstituer), et du latin "reformare" (1174) qui signifie "Ramener à une forme meilleure".

Dans le domaine de la santé, la réforme peut avoir deux conceptions complémentaire. La première met en évidence les attributs d’un système de santé et lie la réforme à sa finalité. On peut l’illustrer par la définition de Berman[2] (1995), qui considère une réforme de santé comme « un changement soutenu et déterminant pour améliorer l’efficacité, l’équité et l’efficience du secteur de la santé ». La deuxième conception considère plutôt la nature du changement envisagé et lie la réforme au processus par lequel arrive le changement. Saltman & Figueras (1997)[3] illustrent cette orientation à travers leur définition selon laquelle la réforme de santé est « un processus qui intègre un changement institutionnel et structurel profond et soutenu par le gouvernement, et visant la réalisation d’une série d’objectifs politiques explicites ».

Quelle que soit sa conception, une réforme correspond toujours à un processus de changement et mobilise nécessairement un engagement politique. Les réformes de santé s’inscrivent donc dans une logique de transformation des systèmes de santé. L’actualisation des objectifs ou l’augmentation des ressources, à elles seules, ne suffisent pas pour parler de réforme. Une réforme a besoin d’un changement qui touche aussi bien les institutions existantes, les structures organisationnelles et les systèmes de management. Elle se rapporte donc, comme le précise Cassels[4] (1995), à une re-définition des priorités et des politiques et à une réorganisation des institutions de support. 

Dans son article classique sur les réformes du secteur de la santé, Berman (1995)[5] précise qu’une réforme suppose un changement positif, substantiel et fondamental, construit à partir d’une réalité insatisfaisante. C’est un changement dans ce qui est fait, comment il est fait et qui le fait (Reform implies change in what is done, how it is done and who does it).

Quant aux motifs derrière le mouvement de réformes, ils sont nombreux mais gravitent presque tous autour des questions suivantes :

· La Maîtrise d’une demande de soins en transition (nouveaux problèmes et nouveaux groupes à risque), de plus en plus complexes et incertaine (comportement aléatoire des professionnels et des usagers, asymétrie d’information …) ;

· La Maîtrise de coûts des soins de plus en plus inflationniste (technologie médicale, industrie pharmaceutique, nouveaux besoins et nouvelles exigences).

· La Maîtrise des processus de gestion et l’amélioration de la performance des établissements de soins (efficacité, efficience et qualité) en rapport avec le mauvais fonctionnement du système de soins ;

· L’assurance d’une certaine équité dans la distribution des ressources et l’accès aux soins qui oblige un rôle actif de l’état dans la régulation du système de santé .

Ces différentes questions mettent au devant de la scène des systèmes de santé nationaux trois acteurs essentiels : l’Etat , les producteurs ou prestataires de soins et les financeurs. Les interactions entre ces trois acteurs expliquent les différents modèles et approches de réformes à travers le monde.

Analyse du système de santé marocain et pertinence de sa reforme[6]

Le Développement du système national de santé : Quelques repères

L’analyse de l’évolution du système de santé marocain permet d’identifier trois grandes périodes dans son développement depuis sa mise en place au lendemain de l’indépendance.

Première période (1959-1981) : Mise en place et développement du système national de santé

La naissance du système national de santé au Maroc remonte à la première conférence nationale sur la santé organisée en Avril 1959 sous la présidence effective de feu S.M. Mohamed V qui a énoncé les principes qui constituent les pierres angulaires de la politique sanitaire au Maroc depuis plus de 40 ans. Deux déclarations de cette conférence illustrent l’orientation générale de cette politique[7] :

"La santé de la nation incombe à l'Etat"

"Le Ministère de la santé publique doit en assurer la conception et la réalisation"

Ces déclarations traduisent la responsabilité de l’Etat sur la santé et le choix d’une politique de santé publique.

Cinq plans de développement sont venus mettre en œuvre cette orientation avec comme grands soucis : nationaliser et développer l'offre de soins et lutter contre les grands fléaux épidémiques. C’est ainsi que le système de santé a connu d’une part la fondation des premières facultés de médecines, des écoles de formation professionnelle et d’autre part le développement des premières stratégies de couvertures sanitaires (Groupes sanitaires mobiles ; SPU/SPR, SIAAP)

Au fur et à mesure de l’extension des infrastructures, un effort a été déployé pour organiser la couverture sanitaire, renforcer les structures centrales et définir l’organisation et les attributions des services extérieurs (Arrêté de 1980).

La Charte communale (1976) était une occasion pour responsabiliser les collectivités locales sur certains aspects de santé (hygiène et assainissement), les indicateurs de santé liés à ces aspects n’ont d’ailleurs plus figuré parmi les indicateurs de suivi de l’état de santé.

Deuxième période (1981-1995) : Développement de l’offre et des programmes sanitaires

Cette période vient après la souscription du Maroc à la déclaration d’Alma-Ata en 1978 qui est considérée comme la deuxième grande réalisation de l’OMS après l’éradication de la variole. L’engagement du Maroc en faveur de cette déclaration et de la politique des soins de santé primaires fût déclinée à travers le plan quinquennal 1981-1985. Durant cette période on assiste à un grand renforcement des structures sanitaires de base et au développement des programmes sanitaires.

En 1989, a été réalisée la première étude sur le financement des soins, ce qui annonce le souci des autorités sanitaires marocaines pour le financement des soins.

Troisième période (1995-2000) : Quête de changement et annonce de la réforme

Bien que le débat sur la réforme de santé au Maroc a commencé en 1993, sa première concrétisation n’a vu le jour que vers l’année 1995 avec la restructuration des services centraux du Ministère de la santé. Bien qu’elle ne soit pas la première en son genre, cette restructuration est particulière parce qu’elle traduit une tendance annonciatrice de la réforme :

· La consolidation de la continuité pour certaines directions, comme la Direction de la Population (DP) et la Direction le l’épidémiologie et de Lutte contre les Maladies (DELM), qui exprime une volonté d’achever les succès réalisés dans les programmes sanitaires ;

· La valorisation de certaines structures comme celles des Médicaments et de la Pharmacie qui passe d’un statut de divisions à celui de Directions Centrales;

· Et la création de la Direction des Hôpitaux et des Soins Ambulatoires (DHSA) pour être le principal interlocuteur des établissements hospitaliers et pour piloter la réforme hospitalière.

· La création du service de l’économie de la santé au sein de la Direction de la Panification et des Ressources Financières (DPRF).

La création de deux nouvelles directions centrales pour les hôpitaux, les médicaments et la réglementation, traduit donc une orientation claire vers les soins curatifs et vers le renforcement des établissements de production de soins et services représentés essentiellement par les hôpitaux. Quant à la création du service de l’économie de la santé, il concrétise l’intérêt accordé à la maîtrise des aspects économiques liés à la santé.

Le niveau de l’état de santé

La situation sanitaire au Maroc est caractérisée, d’une part, par une réduction des niveaux de mortalité et de fécondité qui annoncent la transition démographique, et d’autre part par l’émergence d’une nouvelle structure de la charge de morbidité caractéristique d’une autre transition de nature sanitaire.

Réduction des niveaux de mortalité et de fécondité

L’analyse des niveaux de mortalité par groupes de population vulnérable montre que les taux de mortalité infantile (TMI) et Juvénile (TMJ) ont connu une importante réduction. Entre 1979 et 1997, le TMI est passé de 91 %° à 37 %° au moment où le TMJ est passé de 52 %° à 10 %°. Dans le même sens et pour la même période, l’indice de mortalité maternelle (TMM) est passé de 359 à 228 décès maternels pour 100 000 naissance attendues.

La fécondité a connu la même tendance. En effet, le taux brute de natalité (TBN) et l’indice synthétique de fécondité (ISF) ont évolué respectivement de 31.4 (%°) et 4.5 en 1987 à  22.8 et 3.1 en 1997.

L’analyse démographique apporte un autre élément important lié à la forte urbanisation qui engendre le développement de nouveaux milieux comme le périurbain ayant des caractéristiques socio-sanitaires propres et l’hyper sélection d’un rural qui devient moins équipé en infrastructures suite au passage à l’urbanisation des centres ruraux assez développés. Cela signifie pour le planificateur que l’écart entre milieux urbain et rural sera encore plus important. Conscient de cette réalité, le Maroc a veillé à cibler les provinces défavorisées par des projets d’investissement et de mise à niveau comme, c’est le cas avec le projet des priorités sociales (BAJ) et les projets appuyés par la Banque Africaine de Développement.

Évolution de la morbidité et redistribution de sa charge globale

Il est difficile d’apprécier l’évolution de la morbidité en dehors d’un système de monitorage fiable. Toutefois si nous ne considérons que les maladies à déclaration obligatoire, nous remarquons que la morbidité parait avoir trois tendances : la diminution, la constance et l’augmentation.

· Une tendance vers la diminution, voire la quasi-éradication : comme c’est le cas des maladies cibles de la vaccination ainsi que la typhoïde, le trachome, la bilharziose et la lèpre pour ne citer que celles-là. Pour la poliomyélite et la diphtérie, il n’y a pas eu de cas enregistrés depuis déjà   5 ans.

· Une tendance vers la persistance : comme c’est le cas de la tuberculose qui reste parmi les problèmes importants de santé publique au Maroc. Près de 30 000 cas sont déclarés annuellement et son taux d’incidence continue à basculer autour de 1 %°.

· Une tendance vers l’émergence : C’est le cas notamment des maladies chroniques et des cancers.

Cette évolution qui n’a rien de particulier puisqu’elle ne fait que traduire l’évolution transitionnelle de la mortalité et de la morbidité qui a été documentée par les démographes et les historiens et modélisée par A.R. Omran (1971) sous le terme de « Transition épidémiologique » et par Caldwell (1990) sous le nom de « Transition sanitaire ». Ce qui change entre les pays, c’est la durée des transitions et leurs structures.

La récente Etude sur la charge de morbidité globale au Maroc vient également confirmer cette tendance en montrant que le groupe I de la classification internationale des maladies (CIM 10), constituée par les maladies infectieuses, maternelles et périnatales, représente 33.4 % des AVCI (années de vie perdues corrigées par le facteur incapacité) et que le groupe II, constitué par les maladies non transmissibles, en représente 55.8 %. C’est là une preuve supplémentaire que le Maroc fait face au double fardeau de la morbidité (transmissible et non transmissible).

Cette double caractéristique de la situation socio-sanitaire au Maroc (transitions démographique et sanitaire), constitue l’un des principaux motifs de réforme de santé au Maroc. Elle donne une légitimité aux choix stratégiques qui doivent exprimer à la fois le souci d’achever la transition par la consolidation des acquis en matière de prévention et de lutte contre les maladies et le souci de faire face à l’émergence d’une nouvelle structure morbide dominée par les maladies chronique et les cancers. Cette deuxième orientation passe nécessairement par une réforme des soins curatifs et des hôpitaux. 

Le niveau de l'offre de soins 

Depuis son indépendance, le Maroc a déployé de façon continue des efforts de renforcement de l’infrastructure sanitaire. Il disposait en 1960 de 394 établissements de soins de base, actuellement il en compte plus de 1980 unités. Le ratio du nombre d’établissement par 10 000 habitants est passé de 0.58 en 1980 (1/17 000 hab.)  à 0.71 en 1998 (1/14 000 hab.). Malgré ces efforts, près de 31 % de la population se trouvent encore à plus de 10 km  d’une formation sanitaire en 1996.        

Le réseau hospitalier a connu une évolution plus lente. Toutefois, il est importante de signaler que la moitié des hôpitaux ont vu le jour après l’indépendance. La capacité hospitalière totale a connu une augmentation de plus de 8000 lits entre 1960 et 1997[8]. Actuellement le Maroc dispose d’un lit pour 1136 hab. Mais la distribution de ces lits laisse apparaître une grande iniquité entre région et entre milieux. L’évolution de l’offre hospitalière reste lente par rapport à celle de la population générale, en effet entre 1990 et 1997, le nombre moyen d’habitants par lit a connu une régression de 14 points. Le ralentissement de l’évolution de l’infrastructure hospitalière s’explique, entre autre, par : le changement de vocation de la majorité des hôpitaux conçus avant l’indépendance et qui étaient essentiellement des hôpitaux de psychiatrie ou de pneumo-phtisiologie, la reconstruction de certains hôpitaux en raison de leur vétusté, le renforcement du plateau technique et l’extension de l’offre des grands centres hospitaliers, sans compter le coût des investissements dans les infrastructures hospitalières.

Quant au secteur privé, il dispose d’une capacité litière hospitalière d’environ 5 500 lits soit 19 % de la capacité litière totale et de 3460 cabinets de médecine générale. La couverture par le privé pose le problème de sa distribution limitée souvent à l’urbain et aux grandes villes.  

Le niveau de financement des soins

Selon la dernière étude sur les Comptes nationaux de santé 1997/98, les dépenses globales de santé (DGS) au Maroc sont de l’ordre de 15 Milliards de dirhams (soit 4.5 % du PIB), dont 54 % sont financées par les ménages et 40 % à travers un financement collectif (fisc ou assurances). Ces deux données montrent que le système de santé marocain souffre d’une insuffisance de financement des soins et d’une faible solidarité dans ce financement. Ce constat est à la base de la deuxième grande motivation de la réforme de santé (après la double transition) et qui est appelée « la réforme de financement ».

Les comptes nationaux de la santé ont, également mis en évidence un élément d’extrême importance dans l’orientation de la réforme lié à la répartition des flux financiers qui montre que les hôpitaux publics qui représentent plus de 80 % de la literie nationale ne bénéficient que de 5 % des ressources de la couverture médicale. Ce qui signifie que le renforcement de cette couverture, prévue dans le cadre de la réforme de financement, ne peut être envisagé que s’il est accompagné d’une modernisation des hôpitaux publics pour leur permettre d’être concurrentiels et d’attirer aussi une clientèle solvable.

Comparaisons internationales

La comparaison de la situation du Maroc à celles de pays à profil similaire, permet de compléter l’exploration interne du système de santé national. L’analyse de la performance des systèmes de santé réalisée par l’organisation mondiale de la santé (OMS), montre que le Maroc occupe un rang de choix (29e) au niveau mondial. Ce qu’il faut toutefois préciser pour éviter toute contre production, c’est que le système de santé marocain ne doit pas ce classement au niveau d’état de santé de sa population, puisqu’il est classé au 110e rang du niveau de santé, ni au niveau d’équité de son système puisqu’il est classé au 111e rang dans la distribution du niveau de santé et au 125e rang dans l’équité de la contribution financière, derrière l’Algérie et la Tunisie. Le système de santé marocain est bon par son efficience et non par son niveau de santé et d’équité. Ceci est réconfortant pour le gouvernement qui est concerné par cette efficience, mais l’est moins pour les citoyens qui sont concernés par l’état de santé et l’équité. 

Dans sa comparaison internationale de la progression des systèmes de santé, l’UNICEF propose une autre approche qui repose sur l’analyse dynamique du TMM5 (Taux de mortalité des moins de 5 ans) comme indicateur de base, étant donné qu’il intègre plusieurs déterminants socio-sanitaires (alphabétisation, niveau socioéconomique, la prise en charge sanitaire …). Dans cette analyse, le Maroc paraît avoir une performance particulière, puisque son taux annuel moyen de régression du TMM5 est passé de 3.0 entre 1960 et 1990 à 5.2 entre 1990 et 1999.

La comparaison internationale montre également que la part du PIB  réservée à la santé au Maroc (4.5 %) est faible par rapport à des pays comme la Tunisie (5.6 %), la  Jordanie (9.4 %) ou le Liban (9.8 %).

Ainsi, en plus des problèmes traditionnels liés à la disparité dans l'état de santé et la couverture entre milieux et entre régions, le système de santé marocain est confronté à de nouveaux problèmes essentiellement liés à la double transition démographique et sanitaire, à l’insuffisance de la dotation du secteur et de l’iniquité dans le financement des soins. S’ajoutent à cela des dysfonctionnements d’ordre structurel liés à la forte centralisation des processus de planification et à la faible performance des établissements de production de soins. Vouloir relever ces défis signifie s’engager dans un processus de réforme globale et les ignorer ne fait que retarder les échéances et alourdir la tâche.

La réforme de santé au Maroc

Au lendemain de l’indépendance, le Maroc a opté pour un modèle de système de santé où l’Etat était responsable des principales fonctions suivantes : la production des soins et services, le financement des soins, le management des établissements (administration et gestion) et la régulation du secteur .

Quand ce système était jeune et peu développé la conciliation de ces quatre fonctions était possible et se justifiait aussi par la conjoncture d’indépendance. Mais au fur et à mesure du développement de la couverture sanitaire et de l’augmentation de la taille des structures et des effectifs qui s’est réalisée parallèlement à l’évolution et la consolidation du processus démocratique, l’état ne pouvait garantir les exigences d’efficacité, de qualité et d’efficience du système de soins.

Cadrage stratégique de la réforme du système de santé au Maroc

La réforme de santé au Maroc s’inscrit dans le cadre d’un choix politique de régionalisation et de réforme de l’administration publique. Elle vise le redéploiement des grandes fonctions du système de santé, notamment la séparation entre la fonction de financement et la fonction de production de soins; la séparation entre la fonction de tutelle et la fonction de gestion et le développement de la fonction de régulation.

 La séparation entre financement et production de soins : la réforme du financement

Dans ce cadre, le Maroc a opté pour l’introduction de nouveaux mécanismes de financement représentés essentiellement par l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et le Régime d’Assistance Médicale (RAMED). Avec ces deux mécanismes, le Maroc espère parvenir à une couverture médicale de 50 % et permettre aux hôpitaux de s’autofinancer afin de libérer leurs subventions pour renforcer le réseau des soins de santé de base.

La séparation entre tutelle et management des établissements : La décentralisation de la gestion

L’OMS a identifié parmi les fonctions d’un système de santé ce qu’elle a appelé la fonction d’administration générale. Cette fonction présente une ambiguïté par ce qu’elle confond les niveaux d’administration. En effet, dans la fonction d’administration, il faut distinguer trois sous-fonctions  selon leur niveau de réalisation et leur finalités :

· La fonction de gouverne ou de gouvernance que seul l’état assume à travers son pouvoir de régulation et de réglementation du système de santé et son rôle de veiller sur ses principes fondamentaux (équité, solidarité, etc.)

· La fonction de management[9] qui se rapporte à la direction des organisations de santé représentées par les établissements de production de soins (les hôpitaux, les centres de santé etc.) et les administrations déconcentrées (les délégations de santé, le SIAAP etc.)

· La fonction de gestion qui est plutôt liée à tous les processus de production de soins et services et où les professionnels de santé et les techniciens ont un rôle majeur à jouer.

Par rapport à cette distinction, le rôle de l’état doit consister à gouverner le système de santé et mobiliser les financements et le rôle des établissements et des administrations extérieures serait de veiller, par un bon système de gestion,  à assurer l’efficacité et l’efficience de la production des soins et services. Pour réaliser cela, il faut transférer certains pouvoir de planification aux établissements (décentralisation) et recentrer le rôle de l’Etat sur la fonction de gouverne et de régulation. La réforme britannique a exprimé cette tendance par un slogan « moins d’état, mieux d’état ».

 Le renforcement de la fonction de régulation

Dans la réforme marocaine, la régulation repose sur trois politiques principales:

· La planification. Par l’introduction de nouveaux outils de planification notamment la carte sanitaire (CS), le schéma régional d’organisation sanitaire (SROS) et le projet d’établissement hospitalier (PEH). Dans les deux premiers mécanismes de planification, sont impliqués aussi bien les conseils régionaux que les ordres professionnels. Pour le PEH, tous les acteurs hospitaliers doivent être mobilisés. La régulation de la demande reposera sur le renforcement du système d’orientation recours entre les hôpitaux et les centres de santé et l’équilibrage de la filière de soins.

· La contractualisation.  Ce mode de régulation économique intermédiaire entre la régulation par le marché et la régulation bureaucratique reposant essentiellement sur le pouvoir hiérarchique, vise le développement de la concurrence organisée qui est un des principes pour susciter une meilleure performance des établissements de production des soins aussi bien privés que publics . Cela veut dire que les régions sanitaires, les hôpitaux et la tutelle auront à établir des ententes de gestion ou des contrats programmes. Toutefois, les mécanismes d’incitation qui sont essentiels dans tout système d’obligation de résultats, ne sont pas encore définis pour supporter cette voie de contractualisation. Dans ce cadre, il est prévu également de développement un système d’accréditation pour créer une certaine compétition dans le domaine de l’assurance qualité.

· La régulation des dépenses. Dans le cadre des deux projets de lois relatifs à l’AMO et le RAMED, il est prévu la création d’une agence nationale de régulation du financement des soins. Cette agence aura à cadrer les interrelations entre les financeurs et les producteurs de soins et à arbitrer les choix et les conflits potentiels.

Les choix stratégiques

La réforme du système de santé marocain repose sur quatre choix stratégiques et sur des leviers d’action.

· La régionalisation : constitue le premier choix stratégique, c’est une opportunité pour dynamiser le système de santé. En effet, comme forme de décentralisation, la régionalisation répond à une double exigence de démocratisation et de rationalisation administrative, c’est à dire qu’elle permet plus de responsabilisation des niveaux locaux qui sont les plus concernés par les problèmes de santé. Elle est également un instrument politique pour mobiliser la participation des collectivités locales dans la planification et le financement des soins et un moyen de redistribution des ressources humaines et financières.

· L’approche du système de santé intégré : le choix de cette approche se justifie par sa capacité d’intégrer quatre traditions d’organisation de services au Maroc, à savoir, l’organisation en deux secteurs public et privé, l’organisation en réseaux (hospitalier et de soins de santé de base), l’organisation par programmes sanitaires et l’organisation en services déconcentrés.

· La réforme du financement avec ses deux mécanismes d’AMO et de RAMED sus-mentionnés. Cette réforme constitue le premier leitmotiv du débat politique sur la réforme de santé. Dans ce cadre la réalisation des Comptes nationaux de santé représentera un moyen pour suivre l’évolution des dépenses et leurs différentes distributions. 

· La réforme hospitalière : elle vise la préparation des hôpitaux à la transition sanitaire, à l’autonomie et à la mise en place de l’assurance maladie. Ceci passe nécessairement par le développement du management des hôpitaux et par la mise à niveau de presque tous les processus de production de soins, y compris leurs aspects techniques et technologiques.

· Quant aux leviers d’action qui représentent des actions motrices de la réforme de santé, ils sont représentés par : l’institution d’équipes régionales de planification, le développement d’un système d’information informatisée, la promotion de l’assurance qualité et l’introduction de nouveaux mécanismes de régulation (CS, SROS, PEH, Contractualisation).

Les projets d’appui

Deux grands projets soutiennent la réforme au Maroc. Il s’agit du projet de financement et de gestion du secteur de la santé (PFGSS) financé par un prêt de la BIRD de 72 millions $ et qui prend en charge la réforme du financement et la réforme hospitalière, et le projet d’appui à la gestion du secteur de la santé (PAGSS) financé par un don de l’Union Européenne de l’ordre de 20 millions d’Ecus et qui prend en charge les aspects de la réforme liés à la régionalisation et à l’équilibrage de la filière de soins.

Conclusion

Les différents changements enregistrés à l’intérieur et autour du système de santé marocain et les enjeux auxquels il est confronté rendent une réforme nécessaire et opportune au Maroc. Telle qu’elle est conçue, cette réforme présente plusieurs atouts, mais c’est justement ces atouts qui la rendent complexe. Il revient maintenant aux autorités sanitaires de relever les défis liés à cette complexité en tirant profit de l’environnement politique particulièrement favorable et des expériences de réformes entamées partout dans le monde.


[1] Responsable de l’unité de mise en œuvre de la réforme de santé (UMER), Direction des hôpitaux et des soins ambulatoires, Ministère de la santé, Maroc.

[2] Berman Peter A. (1995); Health sector reform in developing contries : Making health dévelopment sustainable. HSPH, Harvard university press, p. 15.

[3] Saltman R.B. & Figueras J. (1997); European Health care reform : Analysis of current strategies. WHO, Regional Publications, European Series, N° 7.

[4] Cassels, A. ; Health sector reform : key issues in less developed countries. Geneva, WHO, 1995.

[5] Berman Peter A. (1995); Health sector reform in developing contries : Making health dévelopment sustainable. HSPH, Harvard university press, p. 15.   

[6] Les valeurs des différents indicateurs sont en majorité tirées des documents officiels du ministère de la santé, notamment santé en chiffre, Stratégie sectorielle, Etude sur la charge de morbidité (2000) et les Comptes nationaux de la santé 1997-98.

[7] MSP, « Colloque national sur la santé au Maroc : le développement sanitaire au Maroc, réalités et perspectives », Ouarzazate 13-16 juillet 1992.

[8] 15 500 lits en 1960 contre 23 600 en 1997

[9] Dans le sens de direction des organisations (direction est la traduction du mot anglais management)